Lou Harrison: Scenes from Cavafy

Chronique

Lou Harrison (1917-2003) fut l’un des plus originaux, des plus inclassables, des plus iconoclastes – et des plus aimables et modestes, ce qui ne gâche rien – compositeurs états-uniens du XXe siècle. Disciple à la fois de Henry Cowell et de Schönberg, il se mit rapidement à intégrer des éléments extra-européens dans sa musique : pas seulement des intonations d’Exposition universelle comme le firent Debussy, Ravel, Dukas, Roussel et tant d’autres au début du siècle, mais de réelles prises de possession d’instrumentariums et de conception. On pense bien évidemment au gamelan indonésien, un ensemble d’instruments à percussion (auquel peut se joindre parfois une flûte) avec ses propres intonations, ses propres gammes, ses propres intervalles, qui peuvent varier non seulement d’île indonésienne en île indonésienne, mais de région en région, de village en village, même d’un ensemble instrumental à l’autre. C’est dire la difficulté – mais aussi la liberté – de la chose. Pour mémoire, et pour faire carré, les gamelans existent en deux accords de base, l’un pentatonique sans demi-tons (sléndro), l’autre faisant appel à des demi-tons (pélog). Dès ses premiers ouvrages faisant appel à un gamelan – les années 70 –, Harrison utilisa les deux formats. Scenes from Cavafy de 1980 met en musique les textes érotiques du poète grec Constantin Cavafy ; la partie chantée épouse certes les tournures mélodiques inhérentes propre au gamelan, mais on pourrait imaginer des fondations byzantines à ce genre d’expression… Le Concerto pour piano et gamelan javanais, de 1987, présente une particularité : le piano n’est pas accordé selon le « bon tempérament » habituel (dans lequel certaines quintes et tierces sont un peu « étirées »), mais en douze demi-tons absolument égaux, une situation fort inhabituelle à l’oreille occidentale. Cela dit, cette situation s’adapte parfaitement au gamelan javanais et, après quelques minutes, l’oreille s’est tellement habituée qu’elle trouve la sonorité tout à fait normale et compréhensible. L’album s’achève avec A Soedjatmoko Set de 1989, pour gamelan et voix. Etonnant Harrison, qui a si bien su jeter le flou dans les frontières musicales planétaires ! © SM/Qobuz