In The Tiger's Bed

Chronique

L’histoire de la pochette de ce deuxième album de Jil Is Lucky est drôle. Elle aurait pu être tragique mais elle nous renseigne sur la ligne directrice. Le groupe était en tournée en Inde, Jil et son frère Julien (respectivement chanteur-guitariste et guitariste) décident de se promener dans la forêt et s’égarent. Ils ne savent pas que la forêt en Inde équivaut à la jungle, que de vrais tigres rôdent, 250 kilos au bas mot. Montés sur un arbre pour tenter de retrouver leur chemin, ils en aperçoivent un, toutes griffes dehors. Paniqués, ils n’ont que l’arbre pour seul refuge et devront attendre une bonne heure avant que la bête sauvage s’en aille flairer de nouvelles proies. Ce tigre est celui qui apparait sur la pochette et semble dévorer Jil, car pour ce dernier cette rencontre est comme une fulgurance.

L’animal sauvage lui rappelle ses démons intérieurs, ceux qu’il a récemment croisés, d’apparence plus insidieux mais qui touchent au plus profond de l’être et qui l'ont fait sombrer dans un état de désespoir plusieurs semaines durant. Pour définitivement sortir de cette période sombre, l’allégorie de ce tigre était parfaite, il deviendra l’emblème et le moteur de ce disque. Sous une forme angélique, il y a du Beach Boys et du Local Natives ou encore du Grandaddy chez Jil Is Lucky, les textes portent donc en eux leur grande part d’ombre. C’est du folk pop, avec harmonies vocales à l’appui, décliné en anglais mais cette pureté qui saute aux oreilles ne serait qu’un contre-point au contenu. La musique de Jil Is Lucky est universelle, elle aurait très bien pu fleurir à Los Angeles en 1964 mais a pris forme à Paris presque un demi-siècle plus tard, après un transit via l’Inde donc. Elle ne porte pourtant aucune ride en elle parce qu’elle est toujours en quête du point de rupture, c’est ce qui la rend si intemporelle et si fraîche.

Le folk originel est ici toujours mâtiné d’arrangements techno ou pop, ce sont ces délicates épices et parfums qui lui donnent toute sa saveur. Plusieurs chansons parlent d’amours qui se brisent « Not At All », l’addictif « Stand All Night », « Leaving You (Right Now) »...d’autres évoquent ces nuits passées à se torturer « Insomnia », « Pills », « Backslider » mais encore une fois habillées de leurs plus belles parures, on n’en retient que cette envie d’embrasser le ciel. Il y a un grand professionnalisme qui se dégage de ces dix chansons, mais attention pas un professionnalisme ennuyeux et redondant, plutôt une unité de son au sein d’un groupe, fruit de multiples apparitions ici et là. C’est cette cohésion qui explose le plus, une entente indispensable pour des morceaux chantés à plusieurs, l’expérience de terrain.

Chœurs formidables et harmonies savantes Jil Is Lucky est presque devenu une créature dépassant son maître ou ses maîtres mais il faut aussi y voir la patte du réalisateur Jason Lader capable d’habiller la musique de Coldplay comme celle d’Antony & the Johnsons ou de Julian Casablancas. Jil Is Lucky est sa dernière réussite. Le premier extrait « Stand All Night » est sans aucun doute le meilleur titre, imparable et explosif à souhait, mais il ne faudrait surtout pas négliger la nostalgie sucrée qui se déguste par exemple dans « Forty Times A Day ». Quel disque...

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