Brahms: Piano Sonata No. 3, Op. 5 & Intermezzi, Op. 119 Nos. 1 & 2

Chronique

Un sacré événement que ce retour longtemps attendu des enregistrements réalisés pour His Master’s Voice par Rafael Orozco entre la fin des années 1960 et le début des années 1970, quelques années avant que le pianiste espagnol ne signe un contrat avec la maison Philips. Ces premières gravures d'Orozco – jamais réédités depuis l'époque du LP – témoignent d'une musicalité inouïe, d'une sonorité magnifique, charnue, alliée à une très grande précision dans les attaques. Voici aujourd’hui le LP Brahms, enregistré à Paris, à la Salle Wagram, le 13 mai 1970.
La Troisième Sonate de Brahms reste phénoménale par la clarté des structures. L'Allegro maestoso est saisissant par l'ampleur du geste, implacable et “anti-hiératique”. L'Andante espressivo, qui surprend en son incipit par son tempo allant, touche par sa tendresse infinie, exempte du moindre sentimentalisme, d'autant que Rafael Orozco donne une atmosphère à la fois sensuelle et très intimiste aux moments les plus contemplatifs du mouvement, et différencie avec maestria les moments de tonalité naturaliste, et les autres davantage animés par des sentiments d'ordre amoureux, comme le soulignait déjà à propos de cet Andante Claudio Arrau. Les deux mouvements suivants sont ce qu'ils sont, des scènes de vie. Dans l’Intermezzo, Rafael Orozco est particulièrement sensible au glas qui résonne dans les dernières pages, assez étonnantes et anticipant presque sur certaines figures mahlériennes. Le Finale forme un pendant parfait au premier mouvement : le jeu alerte et rayonnant d’Orozco, si souple, jamais massif et pourtant d’une plénitude étonnante, n’est ici que sourire et évasion. Quel pianiste !
Les deux Intermezzi de l’Opus 119 ne feront que confirmer la singularité poétique d’un pianiste aujourd'hui scandaleusement oublié par tous ses éditeurs. Vivement la suite ! © Pierre-Yves Lascar/Qobuz