Alien (Antibes 1983)

Chronique

Projet parallèle à l’aventure de Magma, le trio Alien réunit sous un format jazz, et outre donc l’explosif batteur Christian Vander, deux des plus éminents représentants de la scène jazz hexagonale de la fin du siècle dernier. Le pianiste Michel Graillier, après voir été l’accompagnateur attitré de Chet Baker, se produira régulièrement aux côtés de rien moins que Pharoah Sanders ou Philip Catherine. Quant au contrebassiste Alby Cullaz, son nom reste indéfectiblement attaché à d’autres grands noms du jazz, comme Christian Escoudé, voire à un art mineur comme la chanson (on pense à Serge Gainsbourg, dont il fut l’accompagnateur).

L’album qui nous occupe ici offre donc, et il s’agit d’une première édition, l’enregistrement intégral d’un concert donné par les trois musiciens à Antibes en 1983, en un set dédié à McCoy Tyner, pianiste référencé de John Coltrane (on connaît l’indéfectible passion qu’éprouve Vander pour le saxophoniste). L’Américain est en effet présent par l’interprétation de trois thèmes, dont un « Effendi » éruptif, dynamité par la batterie en feux grégeois de Vander. Á l’époque quadragénaires, les musiciens, sans doute dynamisés par un public particulièrement présent – on a le sentiment assez vif que le clivage usuel entre salle et scène n’existe pas ici – abordent cette rencontre avec fièvre, inspiration, et rage. La sélection est complétée de cinq prises en studio, parfois répétitions en grandeur nature, au cours desquelles l’enregistrement a conservé quelques bribes de conversation, les grognements des musiciens, toutes traces émouvantes d’un jazz en construction. La version de « Dolphin Dance » dont la partition est signée Herbie Hancock fait preuve d’une surprenante retenue et tendresse. Et la visite au cœur de l’« Around Midnight » de Monk (assurée par les seuls Graillier et Cullaz) baguenaude talentueusement entre mystère et sensualité. C’est « Pour Christian » qui clôt l’opus, brève pièce en forme d’hommage spirituel, et parfait résumé de la nature de l’entreprise.

Une rencontre rare, une histoire d’amitié trop tôt interrompue par la disparition prématurée du contrebassiste et du pianiste, et l’inventivité en jeunes chiens fous de musiciens aux antipodes des poncifs du genre : cet album charrie un remarquable legs d’émotion, et d’inventivité.



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