La Musique pour les Feux d’artifice Royaux demeure sans doute l’une des œuvres les plus célèbres d’Haendel. Qobuz vous propose de redécouvrir en neuf choix toute la diversité de l’œuvre et des interprétations qu’elle connut.

Des fastes presque victoriens à la Kubelik à la tempête déclenchée par Kevin Mallon, l’un de nos baroqueux les plus passionnants et extrémistes, la Musique pour les Feux d’artifice Royaux bénéficie d'un bel éventail interprétatif dont voici neuf choix.

Georg Friedrich Haendel composa sa Musique pour les Feux d’artifice Royaux en 1749, alors que le Royaume d’Angleterre festoyait en l’honneur du traité d’Aix-la-Chapelle, conclu entre les puissances européennes pour clore la Guerre de Succession d’Autriche. Le compositeur écrivit une œuvre en cinq parties (Ouverture – Bourrée – La Paix – La Réjouissance – Menuets I/II) pour plus de cent instrumentistes, avant d’en réduire l’effectif à la demande du roi. Il supprima ainsi les cordes. Depuis quelques années, les interprètes recherchent toujours davantage l’œuvre originelle, reconstituent l’œuvre avec l’effectif initial, qui pose souvent de sérieux problèmes d’équilibre général au sein de l’orchestre. Les versions que nous vous proposons ici, comportent toutes des parties de cordes, et permettent surtout de dessiner un portrait relativement fidèle de l’évolution de l’œuvre d’Haendel.

Au cours des années cinquante et soixante, surtout en Angleterre, les interprètes prisaient encore les charmants arrangements de Sir Hamilton Harty, grande figure musicale britannique des années 1920-1930. Tel est le cas, pour prendre trois chefs aux carrières très différenciées, d’Antal Doráti avec le LSO chez Mercury (malheureusement indisponible en numérique), de George Szell, toujours avec le LSO pour Philips, en août 1961, ou encore d’Eduard van Beinum (également indisponible en numérique), dans ses différentes versions pour Decca et Philips (1946, 1952, 1956). En réalité, les arrangements d’Harty rééquilibrent la suite de Haendel pour le grand orchestre symphonique, et ne comporte que quatre mouvements (Ouverture, Alla Siciliana, Bourrée, Menuet). Szell privilégie la noblesse, la largeur des tempos, mais aussi la diversité des nuances, la lisibilité polyphonique. Une superbe version à l’ancienne, presque nocturne, pétrie d’humanisme. À l’inverse, Dorati aiguise les rythmes et s’affirme comme l’un des premiers musiciens baroqueux de l’histoire pour sa réflexion sur les tempos et les accents dynamiques de cette musique. Il allège d’ailleurs énormément les lourdeurs des arrangements d’Harty. Il est vraiment urgent de redécouvrir le legs intégral de Dorati, qui a toujours été négligé par ses maisons de disques. Avis à tous : Universal Japon publiera bientôt son intégrale Beethoven avec le Royal Philharmonic Orchestra, autrefois parue chez Deutsche Grammophon. Courez-ici ! Quant à Eduard van Beinum, il nous propose, lui, des visions assez vivaces, très classiques et séduisantes.

Nous vous proposons également deux enregistrements avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin. Le premier, de Fritz Lehmann, date de novembre 1952. Il est en mono, et ne se réfère pas aux arrangements de Sir Hamilton Harty, comme d’ailleurs le suivant, celui de Rafael Kubelik, en stéréo. Comme le signalait le critique de la Süddeutsche Zeitung en 1959, avec un sens aigu de l’analyse, « Fritz Lehmann allie une musicalité naturelle et une intense volonté d’objectivité passionnée et d’authenticité ; sa forte personnalité de chef transmet ses messages à l’orchestre en un geste plein de vigueur, au-delà de toute affectation (et bien sûr de tout effet), fait respirer la phrase dans toute son ampleur tout en respectant le moindre détail, et fait jaillir l’univers intérieur de chaque œuvre, qu’il aborde dans une matière sonore soigneusement ouvragée ». Une version absolument majeure de la discographie, d’une grande générosité, qu’il faut impérativement redécouvrir. Cet enregistrement de la Musique pour les Feux d’artifices Royaux par Fritz Lehmann se fondait sur des recherches scientifiques précises (écoutez la finesse du trait au début de La Réjouissance, incroyable !), et fut publié par le « Xe Domaine de recherche du studio de musique historique de la Deutsche Grammophon Gesellschaft », l’intitulé complet d’Archiv Produktion, l’un des labels phares de la musique ancienne et de toute la révolution baroque qui allait s’opérer à partir des années 1960. Dix ans plus tard, le 25 mars 1963, dans l’acoustique rayonnante de la Jesus-Christus-Kirche de Berlin, Rafael Kubelik revenait vers des terres plus « communes » : jeu d’orchestre lumineux portée par une direction large et grandiose, assez équilibrée, mais nettement moins fine et visionnaire que celle de son prédécesseur. Kubelik ne semble pas situer l’œuvre tout à fait à la même époque…

En mai 1971 (Decca, Kingsway Hall), Neville Marriner impose des textures éclatantes, aux arrêtes vives et colorées. Le chef privilégie nettement les pupitres de cuivres et de bois, au risque de paraître parfois légèrement clinquant voire même déséquilibré (Introduction, Ouverture). Le directeur de l’Academy of St. Martin-in-the-Fields réussit davantage les mouvements tels que la Bourrée ou La Paix, "dépourvus" de cuivres. Cependant, ces visions allégées, très respectueuses des mètres à danser, témoignèrent à une époque d’un nouveau style, d’une nouvelle manière, dont il s’avère encore difficile de s’extraire aujourd’hui. La Réjouissance explose, brille, pétille ; le tempo des Menuets I & II est d’une justesse irréprochable, etc. Cependant, avec Marriner, le sommet se trouve dans la Water Music, d’un raffinement expressif et d’une science «coloristique» étonnantes. A redécouvrir ! Le geste élégant et ardent de Marriner verra des prolongements dans la version de Sir John Eliot Gardiner, réalisée en 1983 pour le label néerlandais Philips, une des grandes versions de l’œuvre. Le chef anglais concilie sens de l’architecture, plénitude orchestrale et vivacité rythmique. À cela il ajoute – comme toujours dans ce répertoire où il s’est affirmé comme aucun autre – une certaine tendresse, un certain frémissement de l’âme. Ses visions respirent, ne visent qu’à reproduire la mouvement naturel de la vie, serein et inéluctable, au détriment parfois de l’éclat inhérent à l’œuvre. Une sorte de perfection intimiste, peut-être trop univoque.

Au début des années 1980 fleurirent en Angleterre plusieurs interprétations des deux grandes œuvres orchestrales de Haendel. Aux côtés de Gardiner, il eut en effet, pour prendre deux des plus significatives, Christopher Hogwood chez L’oiseau-Lyre, qui réalisa sa version en mai 1980 en l’Eglise St. Jude-on-the-Hill d'Hampstead (Londres), puis Trevor Pinnock avec son ensemble The English Concert pour Archiv Produktion en 1982. La direction de Hogwood possède un ton conquérant, presque rustique, dans l’Introduction. D’emblée, le claveciniste anglais donne à l’œuvre un caractère officiel, cérémoniel. Au contraire de Gardiner, il ne cherche à varier ni les teintes de couleurs ni les effets orchestraux. Son geste demeure global, avant tout frais et divertissant. Ses tempos, relativement modérés, n’oublient pas la danse (Bourrée), quand ses phrasés paraissent un rien systématiques (La Paix, Menuets). L’orchestre de Trevor Pinnock est plus virtuose : l’Introduction, incroyablement marquée, prend des couleurs (timbales, cuivres) vivifiantes. En 1982, le claveciniste anglais réussissait l’une des versions les plus fruitées et naturelles de la discographie, comme en témoigne l’Allegro initial, remarquablement fluide et coloré. Il surpasse Hogwood dans l’enthousiasme et la passion, et ses phrasés sont toujours habités (Bourrée, La Paix). La Paix laisse entrevoir des alliages de couleurs qui rappellent la musique française du XVIIe siècle, qu’Haendel connaissait évidemment parfaitement (cf. à ce sujet la version de Kevin Mallon). Cette Music for the Royal Fireworks témoigne de la meilleure époque de Pinnock, celle au cours de laquelle celui-ci allait graver par exemple ses somptueux Vivaldi (L’Estro Armonico, La Stravaganza, Les Quatre Saisons) et Corelli (Concerti op. 6), encore des références aujourd’hui.

Quittons les doux rivages de l’Angleterre pour la Catalogne et l’Irlande. A la fin des années 1980, Jordi Savall enregistrait pour Astrée l’intégrale de la Water Music et des Feux d’Artifice royaux, salués dès lors par la critique comme la référence absolue (cf. Les Indispensables du disque compact, de Piotr Kaminski et Jean-Charles Hoffelé, ouvrage indisponible). Splendide, spectaculaire, cette version accuse les contrastes spatiaux (réponses entre cors et trompettes, bois et cuivres). La vaste acoustique de son lieu d’enregistrement le lui permet. En dépit de toutes ses réelles qualités et de sa plus-value sonore, la direction de Savall ne reproduit que rarement l’intense expressivité à l’œuvre dans la dernière version de notre article (La Paix ou La Réjouissance un peu prosaïques), celle de Kevin Mallon à la tête de son Arcadia Ensemble (Naxos), sans parler de celle de Lehmann, Gardiner ou Marriner. Irlandais de naissance, violoniste, chanteur, compositeur, ancien membre de quelques ensembles les plus réputés (Les Arts Florissants, Tefelmusik), disciple de John Eliot Gardiner, Kevin Mallon adopte des tempos rapidissimes, et qui pourtant sentent la respiration à pleins poumons. Il rassemble dans sa direction l’ampleur du geste, l’élan naturel et la grandeur, la légèreté et l’élégance de la musique française, le chant et la continuité de la ligne (cadence des cuivres à la fin de la trompette). Mallon capte l’esprit chorégraphique de l’orchestre de Lully avec une finesse exemplaire. Ici, cette Musique pour les Feux d’artifices royaux traverse les époques et prend le caractère d’un message universel de joie, de liberté enfin retrouvée. Superbe ! A découvrir !