La rédaction de Qobuz s'est encore une fois creusé le cortex pour extraire, des dizaines de nouveautés sorties cette semaine, une huitaine de divers genres, styles, époques, de quoi prouver si besoin était que votre disquaire est avant tout un disquaire à l'ancienne, même si le support par Internet est des plus avant-gardistes...

Cette semaine, Qobuz a le plaisir de vous proposer le nouvel opus de Rachel Podger en avant-première, dédié aux Sonates du Rosaire de Biber. Ce cycle ou recueil formé de quinze sonates pour violon avec basse continue et d'une passacaille pour violon seul trouve ici sous l'archet de la violoniste britannique une interprétation de haute tenue. Fortement recommandé, on n'a jamais entendu dans ces oeuvres violon plus narratif, plus tendre, plus poétique. Un événement que Qobuz peut proposer avant tous les autres, alors que le label Channel Classics fête ses vingt-cinq ans, et a été récompensé d'un macaron "Label of the Year" par le magazine britannique Gramophone.

Découvrez tout le catalogue du label Channel Classics en cliquant ici

********

Lorsqu'il s'est éteint en 2010 à l'âge de 95 ans, Earl Wild pouvait s'enorgueillir d'une carrière de quelque quatre-vingt années. Il a couvert un nombre invraisemblable de genres et de styles, du baroque au jazz, avec un génie particulier pour la transcription virtuose d’essence romantique. Il fut le premier pianiste à se produire en direct à la télévision états-unienne, et aussi, semble-t-il, le premier à avoir donné un concert en streaming sur Internet ! Pour le centenaire de sa naissance que l’on célèbre en cette année 2015, Sony a sorti un album complet de ses enregistrements pour la RCA, réalisés de 1959 à 1971 ; on y retrouve Gershwin et Liszt, mais aussi bien des raretés de l’époque romantique dont Wild s’était fait le champion. Ainsi le premier concerto de Scharwenka des œuvres de Paderewski, un petit bijou de Max Steiner – le célèbre compositeur hollywoodien – et, encore plus rare, une sonate pour hautbois et clavier de Haendel ! Earl Wild fut un véritable artiste complet. Un artiste bien moins complet, hélas pour lui, ce fut Luigi Marchesi (1754 - 1829) à qui l'on fit subir l'abélardisation indispensable pour en faire un castrat... opération réussie, puisque Marchesi devint une véritable star en son temps. Ce nouvel enregistrement de la soprano Ann Hallenberg explore les rôles conçus pour le célèbre castrat, dont les prouesses vocales semblent avoir été extraordinaires, ainsi qu’on peut en juger par l’invraisemblable agilité technique exigée par toutes ces arias. Des arias d’opéras de Cherubini, de Mayr, Zingarelli, Pugnani, Sarti ou Cimarosa, écrits pour Marchesi qui, semble-t-il, n’hésita pas à rajouter encore des ornementations pour servir d’écrin à sa voix ! Ann Hallenberg prête maintenant la sienne, une opulente voix d’une stupéfiante précision y compris dans les passages les plus vertigineux. Et sans opération...

Un peu de Wagner, si vous le voulez bien... mais dans le gosier du spectaculaire baryton-basse russe Evgueny Nikitin qui, depuis ses débuts sur les grandes scènes internationales aux alentours de l'an 2000, a accumulé les rôles wagnériens de format XXXL. Wolfram de Tannhäuser, le Hollandais, et bien sur le rôle des rôles, Wotan dans l'Anneau des Niebelungen. Le voici dans quelques grands airs bien choisis, parmi les plus sombres et les plus éclatants de Wagner. Et tant que l'on est chez les Niebelungen... savez-vous qu'il existe un diptyque cinématographique de l'ère du muet - 1924 - signé Fritz Lang, intitulé Die Niebelungen ? Lang, plutôt que de recycler du Wagner, préféra faire composer une musique originale de quelque 4h30 de durée, signée de Gottfried Huppertz, le même compositeur qui écrivit par la suite la musique de Metropolis du même Fritz Lang. Oui, Huppertz s'amuse parfois à "emprunter" un enchaînement harmonique ou une cellule mélodique de trois ou quatre notes à Wagner, mais ce sont des clins d'œil, rien d'autre. La partition de Huppertz méritait d'être enregistrée dans son intégralité, c'est dorénavant chose faite et l'on ne peut que s'en féliciter.

"Moi aussi", ainsi pourrait penser Rossini en cette année 1816 lorsqu'il compose son Otello. Sauf que l'autre grand Otello lyrique est de Verdi et qu'il ne serait composé que soixante-dix ans plus tard. C'est pourtant bien celui de Verdi qui connaîtra la gloire, celui de Rossini restant teinté d'un certain esprit bel-canto qui, penseront les puristes, ne s'adapte pas trop au drame de Shakespeare. C'est d'ailleurs pourquoi Rossini n'a pas trop suivi la pièce, modifiant les poids respectifs et les caractères des personnages, et il existe même un "happy end" optionnel. Ce n'est heureusement pas le "happy end" optionnel qui a été choisi pour ce nouvel enregistrement, réalisé sur le vif avec en vedette le ténor rossinie Gregory Kunde, à qui donne la réplique la tendre Desdémone de Carmen Romeu. "Moi aussi", ainsi aurait aussi pu penser Bellini en cette année 1818 lorsqu'il compose son I Capuleti e i Montecchi. Sauf que l'autre grand Roméo et Juliette lyrique est de Gounod et qu'il ne serait composé que cinquante ans plus tard. C'est pourtant bien celui de Gounod qui connaîtra la gloire, celui de Bellini restant teinté d'un certain esprit bel-canto qui, penseront peut-être les puristes, ne s'adapte pas trop à l'ample texte de Shakespeare. Surtout que Bellini a offert le rôle de Roméo... à une voix de mezzo-soprano ! Mais quand c'est celle de Vivica Genaux, que Juliette est chantée par Valentina Farcas, et que le tout est menée de baguette de maître par Fabio Biondi et son Europa Galante, on ne s'en plaindra certes pas.

Réhabilitons Pierné ! Il serait vraiment grand temps que Gabriel Pierné, que l’on considère avant tout comme un grand chef d’orchestre du tournant du XXe siècle, et accessoirement comme un compositeur « talentueux-mais-qui-n’a-rien-inventé », soit remis à l’honneur. Oui, il n’a rien inventé au sens où Debussy ou Stravinski ont ouvert d’immenses brèches et s’y sont engouffrés. Mais, comme un Dukas, comme un Roussel, deux de ses quasi-exacts contemporains, il a su développer un langage puissamment personnel alliant respect des influences anciennes, considération pour ses pairs plus hardis, et développement de sa propre vérité mélodique, harmonique et orchestrale. Voici enregistrés des œuvres de 1886 à 1919, quand il était déjà célèbre : des œuvres pour orchestre seul, jouées par le BBC Philharmonic – dont les magnifiques Paysages franciscains que tout orchestre devrait inscrire dare-dare à son répertoire –, des œuvres pour piano et orchestre jouées par Jean-Efflam Bavouzet, et quelques pièces pour piano seul pour compléter l’album. On remarquera immédiatement l’ample évolution de l’écriture de Pierné, de la Fantaisie-ballet de 1886 aux Paysages de 1919, et l’on remarquera surtout qu’il était loin d’être sourd aux nouveautés de son temps ; mais il en intègre certains apports, pas d’autres, selon sa sensibilité. Réhabilitons Pierné ! Enfin, réhabilitons aussi Johann Hermann Schein, trop souvent considéré comme "seulement" l'un des trois grands "Sch" du baroque allemand, aux côtés de Schütz et Scheidt. Dans le sillage de l’immense succès de son (merveilleux) cycle madrigalesque Israelsbrünnlein de 1623, Schein s’attela à écrire un ensemble de madrigaux profanes : Musica boscareccia , de 1621 à 1628, des « chansonnettes sylvestres » ainsi que les décrit Schein lui-même en titre de l’édition, « sur invention italo-villanelle » car, en effet, Schein avait intégré à son écriture polyphonique rigoureuse à l’allemande de nombreuses tournures mélodiques à l’italienne, napolitaines en particulier. Voici une quinzaine de ces madrigaux, entrecoupés de quelques pièces instrumentales tirées du Banchetto musicale de 1617, de la musique de table, le tout joué par le magnifique United Continuo Ensemble : trois voix chantées, avec accompagnement de violes, théorbe, guitare baroque, luth, harpe, orgue, clavecin, flûtes à bec et clavecin.