Des hauts (sur ses disques) et des bas (dans sa vie) : Lee Morgan (1938-1972) fut le grand trompettiste du label Blue Note. Une carrière fulgurante parmi les géants du jazz, stoppée net par le pistolet de son ex-femme…

La trompette ou l’héroïne ? Lee Morgan n’a malheureusement jamais su trancher… Mais le peu d’années qu’il a passées sur terre (33) lui a suffi pour laisser son nom. Celui d’un maître du hard bop, indissociable du label Blue Note pour lequel il gravera une bonne vingtaine d’albums en tant que leader, participant à de très nombreuses séances comme sideman. Un trompettiste au style hérité de celui de son maître Clifford Brown, qu’il épurera. La postérité gardera également The Sidewinder, que Lee Morgan enregistre en décembre 1963 pour le label d’Alfred Lion, l’un des albums les plus vendus de toute l’histoire du jazz. Un sommet de hard bop aux effluves blues, adossé à une rythmique solide au swing redoutable, presque funky, enregistré avec le saxophoniste Joe Henderson, le pianiste Barry Harris, le contrebassiste Bob Cranshaw et le batteur Billy Higgins. Les mélodies et les thèmes sont d’une redoutable efficacité et le groove, entraînant au possible, n’a pas d’égal.

Le succès commercial de ce Sidewinder fut une sorte d'arme à double tranchant pour Lee Morgan, qui dépensera les milliers de dollars accumulés en poudre blanche. Trois ans plus tard, les anecdotes sont légion sur sa déchéance. Semi-clochard, il mettra même quelque temps sa trompette au clou pour se payer ses doses. Et pour peaufiner davantage sa triste légende, il bouclera sa vie sur une énième tragédie : Lee Morgan est abattu par son ex-femme en février 1972 au Slug’s Saloon, un club de jazz de l’East Village de Manhattan dans lequel il venait de se produire. Cette même femme, de treize ans son aînée, qui l’avait ramassé dans le ruisseau où il avait sombré pour la énième fois quelques années plus tôt...

Derrière ce drame humain, Lee Morgan laisse heureusement parmi les plus belles pages de l’histoire de la trompette. Un son, un style, une approche bien à lui qu’aucune trace de poudre ne vient flouter, et qui brillent sur quasiment tous ses disques pour Blue Note, parmi lesquels les incontournables Search for the New Land, Cornbread, The Gigolo, Tom Cat, Candy, Delightfulee et bien entendu The Sidewinder. Même chez ses confrères, le trompettiste laissera son empreinte sur de nombreux chefs-d’œuvre : Blue Train de John Coltrane, Evolution de Grachan Moncur III, Mode for Joe de Joe Henderson, A Caddy for Daddy d’Hank Mobley, At Newport de Dizzy Gillespie, The Sermon ! de Jimmy Smith ou encore Night Dreamer de Wayne Shorter.