Cet inclassable n’est pas qu’un monument de la musique brésilienne. Car chaque nouvel album de Caetano Veloso souligne l’éclectisme et l’ouverture permanente d’un génie qui ne s’est jamais reposé sur ses lauriers...

« Caetano Veloso a ajouté une dimension intellectuelle à la musique populaire brésilienne. » Cette bafouille de João Gilberto a le mérite de cerner assez justement et rapidement le cas de cet auteur, compositeur et interprète ovni né à Santo Amaro da Purificação, dans l’État de Bahia en 1942. Caetano Veloso enracinera son éveil musical dans la bossa-nova. Mais une bossa rapidement soudoyée par les sons et les idées qui fusent alors d’un peu partout à la fin des années 60. Le chanteur sera ainsi fortement marqué par la pop des Beatles, le rock psychédélique et tout ce qui touche alors à l’avant-garde musicale et artistique. Mais la musique n’est évidemment pas son unique centre d’intérêt. Aficionado de Sartre et Heidegger, il étudiera la philosophie à l’Universidade Federal da Bahia.

La vie artistique de Caetano Veloso décollera vers 1965, lorsqu’il partira pour Rio avec sa sœur Maria Bethânia, autre grand nom de la musique brésilienne. Là, ses talents de parolier ensorcelleront rapidement le milieu musical. Sublime traité de bossa enregistré en 1967, le premier album de Caetano Veloso, Domingo, n’est finalement pas un véritable plaisir solitaire puisque Gal Costa, de trois ans sa cadette, épaule le songwriter bahianais tout au long de ce périple sensuel à souhait… La langueur est de rigueur. Les deux voix se lovent l’une dans l’autre. Chaque mot suinte un érotisme unique. Veloso n’est pas encore au disque le Dylan brésilien qu’il incarnera plus tard pour beaucoup de ses concitoyens. Mais l’artiste militant à la prose engagée est déjà sur la liste noire de la junte militaire alors au pouvoir… Cuivres en apesanteur, rythmes épurés, mélodies climatiques, les arrangements de Domingo sont juste sublimes. Même les compositions, essentiellement signées Veloso, font preuve d’une maîtrise harmonique hors du commun.

C’est après ce Domingo que Caetano Veloso et ses amis Gilberto Gil, Tom Zé et les allumés d’Os Mutantes, fusionneront la musique brésilienne à la pop, au rock et au psychédélisme d’alors pour accoucher du tropicalisme. Ce mouvement fut l’enfant du coup d’Etat de 1964 qui portera la dictature militaire au pouvoir au Brésil. Le tropicalisme synthétisera divers courants sonores et lancera l’idée d’une musique universelle. Les tropicalistes contestaient le nationalisme et la musique populaire brésilienne de l’époque. Ils adapteront psychédélisme et pensée hippie à la réalité auriverde.

Sous la douceur de façade d'un Domingo gronde un véritable cri. Les positions politiques de Caetano Veloso, artiste très à gauche, lui vaudront d’ailleurs d’incessants ennuis avec le pouvoir. Trop « anti-gouvernemental », pas assez « nationaliste », la censure permanente et quelques séjours derrière les barreaux vers 1969 viendront bâillonner le Bahianais. Avec Gilberto Gil, il s’exilera même à Londres jusqu’en 1972.

Les années 70 et 80 refléteront à merveille le « kaléidoscope Veloso ». Ses albums alternent ou fusionnent les basiques de la bossa avec des sonorités jazz, rock, folk ou même pop. Il écrit pour ses compatriotes les plus majeurs (Chico Buarque, Gal Costa, Maria Bethânia…), travaille avec un nombre impressionnant d’artistes éclectiques (David Byrne, Arto Lindsay, Ryuichi Sakamoto…) et revisite les chansons des autres, parfois les plus inattendues (Nat King Cole, Michael Jackson, les Beatles, Jimi Hendrix, les Stones ou même Nirvana !). Il écrit plusieurs ouvrages, apparaît chez Almodovar, s’entoure de vieux musiciens comme de jeunes prétendants, chante en anglais ou en espagnol, en portugais ou italien… Bref, Caetano Veloso ne cesse de se réinventer. Et chacun de ses albums est une renaissance.