Fan du 7ème Art, le grand contrebassiste de jazz est l’invité de la Cinémathèque française le 3 mars, pour une carte blanche pas comme les autres…

Une enfance romaine nourrie des images de monstres sacrés du cinéma italien, de comédies musicales américaines, aux débuts professionnels comme contrebassiste au sein de l’orchestre de la RAI (Radio Télévision Italienne) où il participe à l’enregistrement de musiques de films, pour Fellini entre autres, le cinéma jalonne la vie de Riccardo Del Fra.

Musicien et compositeur accompli, régulièrement sollicité pour des musiques de films, depuis 1996 il écrit les BO du cinéaste Lucas Belvaux. Tout dernièrement, le musée d’Orsay lui a demandé de créer des musiques, dans le cadre d’un festival, pour trois grands films des Années folles.

La Cinémathèque française lui offre une carte blanche le 3 mars, à 20h, salle Henri Langlois, pour une soirée conçue comme un rêve, où se mêleront dans un mouvement sensuel et poétique musique, danse et extraits de films - les Nicholas Brothers dans Stormy Weather, l’étonnant Musique de Tables de Thierry De Mey, Chet's Romance de Bertrand Fèvre, Cavale de Lucas Belvaux, Cyd Charisse et Fred Astaire dans The Band Wagon, Metropolis de Fritz Lang.

Alain Gerber, entouré d’improvisateurs, lira ses textes. Anaëlle Echalier et Ari Soto-Aguirre danseront sur une pièce de Riccardo Del Fra chorégraphiée par Cathy Bisson.

Pour jouer ses compositions, dont un extrait de sa création pour la Comédie de Valence, Du jardin à l’arc en ciel, Riccardo Del Fra invite la chanteuse Jeanne Added, le pianiste Bruno Ruder et un ensemble de jeunes musiciens issus du CNSMDP (Concervatoire de Paris) dont il dirige le département jazz et musiques improvisées.

Riccardo Del Fra est né à Rome en février 1956. Il étudie la contrebasse au conservatoire de Frosinone où Franco Petracchi et Franco Noto sont ses professeurs. Il mène en parallèle des études de sociologie à l’université de Rome. L’orchestre de la RAI fait appel régulièrement au jeune contrebassiste qu’il est pour les concerts jazz et les enregistrements, notamment pour de nombreuses musiques de films.

Il se produit avec diverses formations de musiciens italiens (le pianiste Enrico Pieranunzi, le saxophoniste Maurizio Giammarco, le batteur Roberto Gatto, le trompettiste Oscar Valdambrini, le tromboniste Dino Piana). Il accompagne aussi des jazzmen américains de passage en Italie et en Europe puis au Japon, aux Etats-Unis et un peu partout dans le monde.

Il joue aux côtés de très nombreux solistes (Art Farmer, Dizzy Gillespie, Art Blakey, Sonny Stitt, James Moody, Lee Konitz, Tommy Flanagan, Kai Winding, Clifford Jordan, Horace Parlan, Joe Diorio, Kenny Wheeler, Paul Motian, Dave Liebman, Vernell Fournier, etc.). Il est également le contrebassiste titulaire de divers groupes (Barney Wilen, Bob Brookmeyer, Johnny Griffin, Toots Thielemans, Michel Herr, Charles Loos).

Fin 1979, Del Fra joue à Rome avec le trompettiste Chet Baker. Rencontre décisive, puisqu’il va l’accompagner pendant neuf ans, en Europe et au Japon, pour de longues tournées, des radios, des télévisions. De cette collaboration, naîtront douze disques, des vidéos, le film Chet’s Romance de Bertrand Fèvre, et Chet Baker trio live in London at Ronnie Scott’s. De Chet Baker, Riccardo dit : « Il a influencé ma manière de jouer et d’écrire. De la qualité du son dans la rondeur avec un très léger vibrato dans le sustain, à une relation directe avec la vocalité dans tout geste instrumental, de la recherche de construction de longues phrases traversant les harmonies à une pensée quasi constante de la respiration et du silence.»

Au début des années 80, installation à Paris, où il fait alors partie d’une section rythmique très active avec le pianiste Alain Jean-Marie et le batteur Al Levitt, tout en continuant à jouer avec Chet Baker et Michel Graillier (piano). En 1989, Riccardo Del Fra dédie à Chet, disparu en mai 1988, son disque A Sip Of Your Touch, qui est une série de duos avec Art Farmer, Dave Liebman, Enrico Pieranunzi, Rachel Gould et Michel Graillier.

Dans les années 90, le tromboniste et compositeur Bob Brookmeyer, dont il a suivi les classes de composition à Cologne, l’invite à faire partie de son quartet. Ils tourneront ensemble et enregistreront le CD Paris Suite (qui a reçu le Prix de l’Académie du Jazz en 1994).

Eclectique et sans a priori, Riccardo Del Fra l’est et le revendique. Il fait des incursions dans la musique contemporaine, aime autant Charlie Parker que Gustav Mahler, John Coltrane que Ligeti, Debussy, Berg, Dutilleux ou Tôru Takemitsu, compositeur japonais qu’il chérit particulièrement. L’ensemble 2e2m de Paul Mefano a fait appel à lui pour des concerts et l’enregistrement d’un disque de musiques de Tôru Takemitsu (Assai-222182).

En 1996, c’est à la musique traditionnelle qu’il mêle ses cordes. La rencontre avec la chanteuse bretonne Annie Ebrel donnera vie à un duo très particulier et à une création au Théâtre de Quimper, Douar Glizh, puis l’enregistrement du CD Voulouz Loar - Velluto di Luna.

En 2001, le duo s’entoure d’invités : Paolo Fresu (trompette et bugle), Laurent Dehors (clarinette), Kuljit Bhamra (tabla) et Jean-Luc Landsweerdt aux percussions, pour créer Flouradenn à Paris, au Théâtre de la Ville (Abbesses).

Si la musique a toujours été présente dans la vie de Riccardo Del Fra, le cinéma a également nourri son enfance et sa jeunesse. «Ma mère adorait le cinéma et beaucoup de ses musiques...et dans les années 60, la télé italienne passait un nombre incroyable de films dès 11 heures du matin, sur trois chaînes... On se préparait, on attendait, c’était comme un rituel».

Lorsqu’il jouait avec l’orchestre de la RAI, il a participé à des enregistrements de musiques de films comme La Cité des femmes avec le souvenir de Fellini non loin de lui dans le studio, qui supervisait le travail de Louis Bacalov, le compositeur qui venait de succéder à Nino Rota ; La Peau de Liliana Cavani (musique de Lalo Schifrin) et d’autres signées Ennio Morricone, Piero Umiliani, Gianni Ferrio, etc.

Depuis plusieurs années, il compose à son tour pour le 7e Art, et particulièrement pour le cinéaste Lucas Belvaux. Il a écrit la musique des films Pour rire avec Ornella Muti et Jean-Pierre Léaud, (1996) ; la trilogie Un couple épatant / Cavale / Après la vie, avec Ornella Muti/François Morel, Catherine Frot/Lucas Belvaux, Dominique Blanc /Gilbert Melki, (2002), La Raison du plus faible (2005), sélection officielle du Festival de Cannes 2006, avec Eric Caravaca, Natacha Régnier, Lucas Belvaux, Patrick Descamps ou pour la télévision Mère de toxico avec Valérie Mairesse et Jérémie Rénier (2000), Nature contre nature (2005). Et en 2007, toujours pour Lucas Belvaux, Les Prédateurs avec Nicole Garcia, Philippe Nahon, Aladin Reibel, Claude Brasseur (4 heures de film sur “l’affaire Elf”.)

Riccardo Del Fra est aussi régulièrement sollicité pour créer (et jouer) la musique de films muets (au musée d’Orsay en février 2008 dans le cadre d’un festival du cinéma muet). En septembre 2004, il a été nommé responsable du Département jazz et musiques improvisées au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP), où, en 1998, il avait pris la succession, comme enseignant, du contrebassiste Jean-François Jenny-Clark. Sa volonté de décloisonner et le désir d’élargir les champs d’actions et d’interactions sont au cœur de son travail au conservatoire (comme dans sa propre musique).

Il aime construire des passerelles, aménager des rencontres entre les mondes du jazz et les mondes du classique et du contemporain qui semblent parfois éloignés mais qui, dit-il, peuvent avoir les mêmes exigences et partager les mêmes rêves en réalité. Il initie bon nombre de collaborations avec d’autres disciplines du CNSMDP, la danse par exemple, ainsi que des masterclasses ouvertes à des personnalités appartenant à des univers très différents. Le pianiste Michaël Levinas sur l’œuvre pianistique de Claude Debussy, Alain Mabit sur Olivier Messiaen ou encore le compositeur Denis Cohen sur l’orchestration.

Riccardo Del Fra accueille bien sûr des musiciens de jazz, mais représentant des esthétiques différentes (Joey Baron, Enrico Rava, Alain Jean-Marie, André Villégier, Bruno Chevillon, Archie Shepp, Barry Guy, Henri Texier, Daniel Humair, Louis Sclavis, François Jeanneau, Michel Portal, Bernard Lubat, Marc Ducret, Ran Blake, Billy Hart, Dave Liebman…).

En janvier 2007, en tant que directeur du département jazz et musiques improvisées du CNSMDP, Riccardo Del Fra emmène à New York une trentaine de jeunes musiciens du département à la 34e convention de l’IAJE (International Association for Jazz Education), dont la France était l’invitée d’honneur, et qui ont pu jouer devant le gotha du jazz mondial dans différents lieux new-yorkais. Toujours pour le CNSMDP, il travaille actuellement à un projet de Joint Master avec d’autres conservatoires européens : Copenhague, Berlin, Amsterdam, Londres et Trondheim (Norvège).

En 2003, Riccardo Del Fra a été nommé Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres par le Ministère de la culture et de la communication. Il a reçu, en novembre 2006, le Django d’Or du “Musicien confirmé”, la plus haute des distinctions décernées dans le monde du jazz. L’Académie du jazz lui a décerné, en janvier 2008, le Prix du Meilleur musicien européen.

La Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, 75012 Paris.

Le site officiel de Riccardo Del Fra

Le site officiel de la Cinémathèque française

Vidéo en lien : Riccardo Del Fra avec Hervé Sellin (piano) et Eric Dervieu (batterie).