Jérôme Pillement est le directeur musical du programme Opéra Junior, associé à l'Opéra-Orchestre National de Montpellier. Le dernier week-end de mars, il a dirigé L'Étoile, l'opéra-bouffe du compositeur français Emmanuel Chabrier, mis en scène par Benoït Bénichou.

Maximilien Marçais-Husson : Bonjour Jérôme, vous dirigez Opéra Junior, le programme pour les jeunes associé à l'Opéra-Orchestre National de Montpellier. Est-ce la première fois que vous dirigez un Opéra-bouffe ?

Jérôme Pillement : Depuis ma prise de poste il y a cinq ans, j'ai dirigé plusieurs opéras interprétés par des jeunes : Amahl and the night visitors de Giancarlo Menotti, La petite renarde rusée, de Leoš Janáček... Généralement, ce sont les plus grands du programme qui jouent les opéras, mais je fais en sorte que tous le monde puissent y avoir sa place. C'est pour cela que j'ai souhaité mettre en place Brundibár de Hans Krása en 2011. C'est un opéra qui a été créé pour les enfants et qui correspondait donc parfaitement à mes 11-15 ans. Mais c'est le premier opéra français, adapté, que je monte dans le cadre d'Opéra Junior.

M.M-H : Les interprètes du Roi Ouf Ier et de Lazuli sont époustouflants ! Où les avez-vous trouvés ?

J.P : Oui, il s'agit de Samy Camps, ténor et d'Héloïse Mas, mezzo-soprano. J'ai trouvé ces deux jeunes professionnels au Conservatoire National Supérieur de de Lyon. Dès que l'on monte un opéra, je me rends dans un CNS pour trouver de jeunes talents. Ce sont en quelque sorte les locomotives du spectacle mais le fait qu'ils soient jeunes permet de ne pas créer un fossé trop important avec le chœur.

Jérôme Pillement ©D.R

M.M-H : Emmanuel Chabrier a été quelque peu oublié par la postérité. Savez-vous pourquoi ?

J.P : C'est assez hallucinant parce qu'il était très connu et reconnu en son temps. C'était un révolutionnaire dans la mesure où sa musique rompt définitivement avec le grand Romantisme, avec Bizet, avec Berlioz.

M.M-H : Comment qualifierez-vous la musique de L'Étoile ?

J.P : L'Étoile est une œuvre très colorée et fait appel au pré-impressionnisme, bien que Chabrier était proche d'intellectuels réalistes tels que Zola. Mais ses relations avec Monet, Manet, Degars inspirent indéniablement la partition. Le traitement des bois, des vents, des percussions, des cordes a quelque chose de très moderne, de différent de ce que l'on propose en matière musicale à Paris. Il faut rappeler qu'en cette fin de XIXe siècle, Paris est la capitale mondiale de l'art, et Chabrier a musicalement contribué au rayonnement de la ville. Ce qu'il y a de nouveau aussi chez Chabrier, c'est qu'il présente à l'Opéra un fait politico-social atemporel, contrairement à Offenbach, qui se moque de sa société contemporaine.

Le Roi Ouf Ier et Lazuli lors du banquet

M.M-H : Chabrier serait-il le Molière de la musique ?

J.P: Non, je ne crois pas. Chabrier est nettement moins sérieux que Molière. Alors c'est vrai qu'on retrouve la thématique de l'homme tyran dans l’œuvre des deux hommes, mais L'Étoile reste tout à fait dans l'actualité. On ne peut s'empêcher en dirigeant cet opéra de penser à des lieux comme la Corée du Nord, par exemple...

M.M-H : L'interprétation et la mise en scène de Benoît Bénichou sont originales. Restent-elles en cohérence avec la partition ?

J.P : Tout à fait ! Les remaniements de Benoît n'entravent en rien l'humour sarcastique de Chabrier, qui est somme toute l'essence de cette œuvre ! Le livret a bien évidemment vieilli, mais le travail dramaturgique de Benoît et de son équipe est excellent : il rajeunit la pièce, et rien ne choque.

M.M-H :Quelles différences y-a-t-il entre diriger un opéra classique et un opéra avec des jeunes ?

J.P : Musicalement, le travail en amont est plus long. Par ailleurs, les juniors ont du mal à se concentrer sur la totalité de ce qui leur est demandé. Ils se focalisent soit plus sur le chant, soit plus sur l'expression théâtrale, mais ils ont du mal à faire les deux parfaitement simultanément. Lorsque je dirige un Opéra Junior, j'ai deux objectifs. Le premier est bien sûr de transmettre ma passion pour l'opéra. Le second est d'attacher une importance particulière à la danse, de moins en moins présente dans les opéras, alors que traditionnellement, elle fait partie intégrante des actes ! N'oublions pas que l'opéra est l'art vivant le plus complet. Je souhaite réintroduire la danse dans les opéras, car l'expression corporelle est primordiale. Bon évidemment, il n'est pas pensable de réutiliser la danse de la création, mais au contraire, c'est un excellent moyen de rapprocher les jeunes à l'opéra. Pour se faire, j'ai travaillé avec la directrice d'une compagnie locale. Il faut travailler avec des gens qui sont sur place, cela permet un suivi solide pour les jeunes du programme Opéra Junior.

Séance d'échauffement de la voix ©Maximilien.MH