Quarante ans après ses débuts, le cultissime groupe des frères Reid en arrive à son huitième disque. A des années-lumière de sa réputation de chanteur caractériel, Jim Reid s’est connecté, humble et chaleureux, sur Zoom depuis sa maison de Glasgow, pour une conversation autour de « Glasgow Eyes », mais aussi sur le punk, passé, actuel et à venir.

Qu’est-ce qui guide votre création ?

Écouter la musique qu’on aime. Comme personne n’en fait, on la crée nous-mêmes. On a toujours fonctionné comme ça. Dans les années 80, on a enregistré Psychocandy pour cette même raison. Aujourd’hui, on sort Glasgow Eyes parce qu’il n’y a personne pour jouer ce genre de musique.

Pourtant, beaucoup de groupes sonnent comme vous aujourd’hui.

Et ça ne nous plaît pas beaucoup. C’est bizarre d’ailleurs, parce que moi, j’adore la musique, mais je n’aime quasiment rien de ce que j’entends. Ça nous ramène à ce que je disais : si tu n’aimes pas ce que tu entends, fais ta propre musique.

Dans les années 80, vous disiez faire de la musique pour éduquer les gens. Que vouliez-vous dire ?

Ce que je voulais dire, sûrement, c’est que tu n’as pas besoin d’apprendre la guitare ou n’importe quel autre instrument pendant vingt-cinq ans pour produire des sons. Pour nous, la technique n’a aucune importance. C’est un truc qui arrête plein de gens, qui les empêche de se plonger dans la musique. Parfois, ne pas savoir jouer vaut mieux que savoir jouer. Parce que, en n’étant pas virtuose, tu sollicites davantage ton imagination. On le fait beaucoup moins quand on ressasse ses leçons de guitare ou de piano. Dans les années 80, on écoutait beaucoup de groupes allemands aux noms imprononçables comme Einstürzende Neubauten. Ils utilisaient des marteaux-piqueurs, des disqueuses, cassaient du verre… Pour moi, ça sonnait punk. Il faut faire avec ce qu’on a, quitte à aller au plus facile.

Où se situe l’essentiel en musique, selon vous ?

L’essentiel, c’est l’état d’esprit. C’est ce que tu as dans les tripes. Le punk, c’était ça. Il y a des gens comme Eric Clapton et puis il y a les Ramones. Je sais où va ma préférence. Un morceau des Ramones, si tu veux l’apprendre, tu peux. En une journée, j’ai appris à ne pas savoir jouer d’un instrument et à jouer une chanson des Ramones. Ça devrait toujours être comme ça.



Où sont les punks aujourd’hui ?

Ma fille a la vingtaine et elle écoute de la drum’n’bass… Je n’accroche pas des masses, mais elle en passe énormément quand on est en voiture. Il y a cette attitude punk dedans. C’est une musique bidouillée par des gens avec deux bouts de ficelle sur leur ordi. C’est spontané, ça s’entend, et les grandes maisons de disques n’ont pas l’air de s’y intéresser. Donc l’esprit punk est là. La musique a changé, mais sur le fond, c’est du punk. Le punk existe toujours, c’est juste qu’il ne s’appelle plus pareil. Et les gens font ça pour les mêmes raisons.

Le punk existe toujours, c’est juste qu’il ne s’appelle plus pareil.

Que dirait le Jim des années 80 du Jesus And Mary Chain d’aujourd’hui ?

À mon avis, il aimerait bien. La musique en tout cas, parce que l’idée de continuer jusqu’à la soixantaine, ça m’aurait horrifié. Quand j’avais 20 ans, l’idée d’en avoir 60 était angoissante. Donc j’aurais eu énormément de mal à nous imaginer encore actifs à cet âge. Mais putain, on est toujours là ! Je me souviens que tout le monde critiquait les Stones parce qu’ils continuaient les tournées, alors qu’ils avaient juste la quarantaine ! Donc voilà, on est finalement tous devenus de vieux messieurs et on fait encore de la musique. Je continuerai jusqu’à ce que ça n’ait plus de sens. Pour être honnête, je me disais que continuer à faire ce genre de musique à la soixantaine manquerait de dignité. Mais c’est fini, je ne le pense plus. Il y a du public, tout se passe très bien. Et le nouveau disque est aussi bon que les autres.

Je vous ai lu, quelque part, dire que c’était le meilleur.

Non, je ne pense pas que ce soit le cas. Il est aussi bon que les autres, mais pas meilleur. C’est fou, pratiquement quarante ans ont passé depuis Psychocandy, et je me reconnais toujours dans cet album. Dans quarante ans, je pense qu’il y aura toujours des gens pour écouter Glasgow Eyes. C’est un album qui va durer, c’est sûr.

Certaines musiques ne vieillissent pas, d’autres oui. Pourquoi ?

Des musiques qui vieillissent, c’est sûr, il y en a… Le rock’n’roll, par exemple, c’est fini. C’est en train de prendre le chemin du jazz. Ça s’est ghettoïsé, ça va devenir une musique de niche, seulement écoutée par un certain public. Si on fait de la musique comme beaucoup font, c’est-à-dire une musique qui suit la tendance, elle va forcément vieillir. Alors que si on la fait pour elle-même, qu’elle tient seule, on échappe à l’époque. Le disque qu’on vient de sortir n’a rien à voir avec l’atmosphère ambiante. On n’a jamais essayé de le caler à la mode de 2023 ou 2024. C’est un disque qui sonne bien, point. A mon sens, on aurait pu faire ce même disque il y a vingt ans, et si on est toujours en vie, on pourrait le refaire dans vingt ans. C’est une œuvre d’art qui existe en dehors du reste.

Quelle question vous posez-vous systématiquement en studio ?

Est-ce que ce que je fais a un quelconque intérêt ?

Quelle question tout musicien devrait-il se poser ?

Est-ce que j’assumerais toujours cette musique dans dix ans ? Il faudrait toujours penser son disque au futur.

Quelle question avez-vous arrêté de vous poser ?

Est-ce assez bon ?

Sur le disque, The Eagles and the Beatles et Hey Lou Reid honorent vos héros. Dans cette cosmogonie musicale, où situez-vous The Jesus And Mary Chain ?

Pour certaines personnes, on fait partie des classiques. C’est inévitable quand on dure un peu. On a commencé en 1984… Je ne nous compare pas aux grands comme les Beatles, mais si on est toujours là, c’est qu’on s’est quand même fait un nom.

William & Jim Reid (The Jesus And Mary Chain), 1985
William & Jim Reid (The Jesus And Mary Chain), 1985 © Mark and Colleen Hayward/Redferns

Vous vous sentez fier ?

Oui, quand je regarde en arrière, je suis content, mais d’un autre côté, dès qu’on repense aux précédents enregistrements, on a envie d’y changer quelque chose. Globalement, William [Reid] et moi sommes très fiers de ce qu’on a accompli pendant toutes ces années. Ça n’a pas été facile, franchement. Faire partie d’un groupe, malheureusement, ça signifie traiter avec les gens des maisons de disques… Quand on a commencé, on pensait que tout allait être beaucoup plus simple. On s’est dit : on va enregistrer des trucs, on va les apporter à une maison de disques et tout le monde va se réjouir en nous disant : « Bravo ! C’est du super boulot ! »

Quand on a apporté Psychocandy à Warner, ils ont dit : « Putain, c’est quoi ce truc ? C’est de la merde, c’est des démos ou quoi ? » Et nous, on a répondu simplement : « Bah non, c’est un album, on vient d’y passer des mois. » « OK, et si vous alliez faire un vrai disque maintenant ? » On s’est demandé ce qu’on foutait là. Dès le premier jour, on a su à quoi s’attendre avec Warner. Jusqu’au bout du bout, ils se sont acharnés à vouloir changer ce qu’on faisait, qui on était. Ils ont sorti nos albums, mais à contrecœur à chaque fois. Ils nous demandaient toujours de tout reprendre et de revenir avec ce qu’ils appelaient « un vrai disque ». Ça n’a jamais été simple. Mais bon, ces disques, on les a sortis, et oui, on en est fiers !

Vos concerts de l’époque, c’était de la pure folie. Cela paraît impensable aujourd’hui. Trouvez-vous le monde de la musique plus aseptisé ?

Je ne le reconnais plus mais je ne l’ai jamais vraiment compris… Je ne vois pas comment on peut créer de nouveaux groupes comme on a pu le faire. Je crois qu’à l’époque, il fallait y mettre beaucoup plus de volonté. Aujourd’hui, les gens ont trop peur d’être blessants. Ils s’inquiètent de ce qu’ils font et de ce qu’ils disent. Quand on a commencé, on s’en foutait totalement. Notre seul souci, c’était de savoir comment on se sentait, si on voulait faire un truc ou pas. Si ça faisait chier certaines personnes, tant pis. Être blessant, ce n’est pas toujours une mauvaise chose. Si tout le monde se ramollit, si plus personne ne mord, le punk, il va sortir d’où ? Si on ne peut plus offenser personne, il ne restera que de la musique d’ascenseur.

Quelle serait selon vous la plus grande misère pour un groupe ?

Partir en tournée avec Coldplay ?

Découvrez la playlist exclusive réalisée par The Jesus And Mary Chain : “Cette playlist couvre toute notre carrière, depuis nos premiers enregistrements réalisés dans notre chambre en 1983 sur un magnétophone 4 pistes, jusqu’à notre nouvel album Glasgow Eyes. Le but de cette playlist est de permettre aux gens d’entendre tout le spectre de notre travail, des tons les plus agressifs au plus doux.”