Pierre Boulez
Il n'est pas aisé d'établir une biographie de Pierre Boulez (hormis d'ânonner les renseignements glanés sur les divers sites encyclopédiques d'Internet) qui ne tombe pas dans l'inconditionnelle admiration ou au contraire la féroce dénonciation. C'est là, au moins, la preuve de l'intérêt universel porté à ce personnage hors-normes de la scène musicale française et mondiale. Française et mondiale, car en effet la place de Boulez en France est (ou a été) très différente de sa perception internationale. Là où dans son pays de naissance (à Montbrison en France en 1925), il imposa jadis d'une main de fer la dictature du tout-sériel et canalisa vers ses institutions (IRCAM, Ensemble Intercontemporain) une part considérable des fonds publics dévolus à la musique, il est plutôt considéré à l'étranger comme un chef d'orchestre majeur du XXe siècle - pour le répertoire contemporain en particulier, avec quelques incursions vers la fin du XIXe, l'on y reviendra - et un compositeur de l'avant-garde des années 1960-80 appartenant à la mouvance Stockhausen, Berio ou Carter, dont les saillies verbales les plus violentes appartiennent un peu au folklore de la furia francese.
Boulez compositeur, d'abord. Au sortir de la Seconde guerre mondiale, le tout jeune musicien étudie d'abord avec Messiaen qu'il délaissera rapidement pour René Leibowitz, avant de se fâcher avec ce dernier, objectant chez lui un « manque total d'inspiration et la menace d'un académisme sclérosant », ce qui marque le début d'une longue série (le comble pour un compositeur sériel) de diatribes violentes contre l'ordre établi, les maîtres, les écoles, les mouvances, les traditions en tout genre. Lui qui rêvait d'une destruction plus radicale de la Joconde ou du dynamitage des maisons d'opéra estime également que « Tout musicien qui n'a pas ressenti - nous ne disons pas compris, mais bien ressenti - la nécessité du langage dodécaphonique est INUTILE, car toute son oeuvre se place en deçà des nécessités de son époque », nécessités qu'il se charge de dicter lui-même dans un rigoureux cahier des charges qu'il impose à sa propre écriture.
Pour commencer, Boulez étend le sérialisme (qui consiste à n'utiliser qu'une seule et unique suite de 12 sons, appelée série, dans l'élaboration des phrases qui seront ensuite modifiées selon des codes précis : inversion, renversement etc.) à tous les aspects de la construction musicale : les rythmes, les timbres, les hauteurs, les durées des notes font dorénavant l'objet de séries eux-mêmes, dans une architecture appelée série intégrale. On pourra argumenter que l'auditeur lambda aura bien du mal à distinguer de tels détails tout juste perceptibles sur le papier : c'est parfaitement vrai. Mais qui distingue chez Bach les infinies finesses des contrepoints cachés de L'Art de la fugue ? Qui chez Perec peut deviner la construction selon la polygraphie du cavalier dans La Vie, mode d'emploi ? Ce sont là des contraintes personnelles, librement décidées par les créateurs, des auto-dictatures qui ne sont pas moins valides que la dictature de la tonalité. Sauf que... sauf que d'aucuns accusent Boulez d'avoir voulu imposer son ascétisme féroce à toute une génération de jeunes compositeurs français et de les sacrifier à l'autel du tout-sériel. Mais depuis les années 1980, lorsque Boulez s'est fait considérablement moins virulent, on assiste à une formidable éclosion de nouveaux talents, certes aux antipodes de Boulez, mais dont la clarté de conception et d'écriture n'a pu que bénéficier de la tabula rasa imposée par leur illustre aîné. « J'ai un tempérament qui essaie de fabriquer des règles pour avoir le plaisir de les détruire plus tard », phrase on ne peut plus lucide sous la plume de maître.
La liste de ses oeuvres est disponible partout sur Internet, inutile donc de la reproduire ici. Il convient toutefois de préciser que le compositeur aime à retravailler inlassablement des ouvrages plus anciens, qu'il ne semble jamais considérer comme entièrement achevés. Du moins considère-t-il que les potentiels musicaux n'en sont jamais épuisés, et que de nouvelles interprétations peuvent en révéler de nouvelles facettes. Entre ses premières oeuvres des années 50-60, rigoureusement architecturées (Le Marteau sans maître, Pli selon pli, Structures II) et des choses bien plus tardives telles que Répons de 1980, il y a un monde. Plus Boulez avance dans le temps, plus sa musique se fait lyrique, colorée, et moins elle se laisse dicter ses structures et ses sonorités par des règles immuables. Le Boulez, comme le grand vin, demanderait-il à vieillir ?
Boulez chef d'orchestre, ce n'est pas a priori une vocation. Dans les années 50/60, le jeune musicien s'aperçoit que peu de chefs veulent se pencher sur ces nouvelles écritures diaboliquement complexes, de sorte qu'il n'a d'autre choix que de se saisir de la baguette. De fil en aiguille, la chance aidant, il se retrouve rapidement à diriger des orchestres importants, en particulier en Allemagne où la musique contemporaine est alors mieux défendue qu'en France. Il n'a pas trente ans lorsqu'il se charge à Paris du cinquantenaire du Sacre, suivi d'un mémorable Wozzeck de Berg : à 31 ans Bayreuth l'invite pour Parsifal, la première grande incursion qu'il fera dans le monde wagnérien. Dès lors sa carrière internationale est lancée, de New York à Cleveland à Berlin à Londres... Si son répertoire s'oriente majoritairement vers les compositeurs classiques du XXe siècle (Schönberg, Stravinsky, Berg, Webern, Varèse, Debussy, Bartók) et ses contemporains (Berio, Carter, Ligeti etc.), il fait quelques incursions dans le XIXe siècle, avec une Tétralogie des plus mémorables à Bayreuth en 1976.
Ses détracteurs lui reprochent de diriger froidement, analytiquement, sans lyrisme surajouté, dans une transparence totale, là où ses admirateurs louent sa capacité à se diriger froidement, analytiquement, sans lyrisme surajouté, dans une transparence totale... chacun choisira son camp. Toujours est-il qu'à Bayreuth en particulier, et devant tous les orchestres avec lesquels il a travaillé en général, son intense clarté de conception et son oreille phénoménale représentent un contraste du meilleur aloi avec tant de chefs battant la plus incompréhensible mayonnaise tout en jouant aux grands inspirés.
MT © Qobuz 01/2013
Il n'est pas aisé d'établir une biographie de Pierre Boulez (hormis d'ânonner les renseignements glanés sur les divers sites encyclopédiques d'Internet) qui ne tombe pas dans l'inconditionnelle admiration ou au contraire la féroce dénonciation. C'est là, au moins, la preuve de l'intérêt universel porté à ce personnage hors-normes de la scène musicale française et mondiale. Française et mondiale, car en effet la place de Boulez en France est (ou a été) très différente de sa perception internationale. Là où dans son pays de naissance (à Montbrison en France en 1925), il imposa jadis d'une main de fer la dictature du tout-sériel et canalisa vers ses institutions (IRCAM, Ensemble Intercontemporain) une part considérable des fonds publics dévolus à la musique, il est plutôt considéré à l'étranger comme un chef d'orchestre majeur du XXe siècle - pour le répertoire contemporain en particulier, avec quelques incursions vers la fin du XIXe, l'on y reviendra - et un compositeur de l'avant-garde des années 1960-80 appartenant à la mouvance Stockhausen, Berio ou Carter, dont les saillies verbales les plus violentes appartiennent un peu au folklore de la furia francese.
Boulez compositeur, d'abord. Au sortir de la Seconde guerre mondiale, le tout jeune musicien étudie d'abord avec Messiaen qu'il délaissera rapidement pour René Leibowitz, avant de se fâcher avec ce dernier, objectant chez lui un « manque total d'inspiration et la menace d'un académisme sclérosant », ce qui marque le début d'une longue série (le comble pour un compositeur sériel) de diatribes violentes contre l'ordre établi, les maîtres, les écoles, les mouvances, les traditions en tout genre. Lui qui rêvait d'une destruction plus radicale de la Joconde ou du dynamitage des maisons d'opéra estime également que « Tout musicien qui n'a pas ressenti - nous ne disons pas compris, mais bien ressenti - la nécessité du langage dodécaphonique est INUTILE, car toute son oeuvre se place en deçà des nécessités de son époque », nécessités qu'il se charge de dicter lui-même dans un rigoureux cahier des charges qu'il impose à sa propre écriture.
Pour commencer, Boulez étend le sérialisme (qui consiste à n'utiliser qu'une seule et unique suite de 12 sons, appelée série, dans l'élaboration des phrases qui seront ensuite modifiées selon des codes précis : inversion, renversement etc.) à tous les aspects de la construction musicale : les rythmes, les timbres, les hauteurs, les durées des notes font dorénavant l'objet de séries eux-mêmes, dans une architecture appelée série intégrale. On pourra argumenter que l'auditeur lambda aura bien du mal à distinguer de tels détails tout juste perceptibles sur le papier : c'est parfaitement vrai. Mais qui distingue chez Bach les infinies finesses des contrepoints cachés de L'Art de la fugue ? Qui chez Perec peut deviner la construction selon la polygraphie du cavalier dans La Vie, mode d'emploi ? Ce sont là des contraintes personnelles, librement décidées par les créateurs, des auto-dictatures qui ne sont pas moins valides que la dictature de la tonalité. Sauf que... sauf que d'aucuns accusent Boulez d'avoir voulu imposer son ascétisme féroce à toute une génération de jeunes compositeurs français et de les sacrifier à l'autel du tout-sériel. Mais depuis les années 1980, lorsque Boulez s'est fait considérablement moins virulent, on assiste à une formidable éclosion de nouveaux talents, certes aux antipodes de Boulez, mais dont la clarté de conception et d'écriture n'a pu que bénéficier de la tabula rasa imposée par leur illustre aîné. « J'ai un tempérament qui essaie de fabriquer des règles pour avoir le plaisir de les détruire plus tard », phrase on ne peut plus lucide sous la plume de maître.
La liste de ses oeuvres est disponible partout sur Internet, inutile donc de la reproduire ici. Il convient toutefois de préciser que le compositeur aime à retravailler inlassablement des ouvrages plus anciens, qu'il ne semble jamais considérer comme entièrement achevés. Du moins considère-t-il que les potentiels musicaux n'en sont jamais épuisés, et que de nouvelles interprétations peuvent en révéler de nouvelles facettes. Entre ses premières oeuvres des années 50-60, rigoureusement architecturées (Le Marteau sans maître, Pli selon pli, Structures II) et des choses bien plus tardives telles que Répons de 1980, il y a un monde. Plus Boulez avance dans le temps, plus sa musique se fait lyrique, colorée, et moins elle se laisse dicter ses structures et ses sonorités par des règles immuables. Le Boulez, comme le grand vin, demanderait-il à vieillir ?
Boulez chef d'orchestre, ce n'est pas a priori une vocation. Dans les années 50/60, le jeune musicien s'aperçoit que peu de chefs veulent se pencher sur ces nouvelles écritures diaboliquement complexes, de sorte qu'il n'a d'autre choix que de se saisir de la baguette. De fil en aiguille, la chance aidant, il se retrouve rapidement à diriger des orchestres importants, en particulier en Allemagne où la musique contemporaine est alors mieux défendue qu'en France. Il n'a pas trente ans lorsqu'il se charge à Paris du cinquantenaire du Sacre, suivi d'un mémorable Wozzeck de Berg : à 31 ans Bayreuth l'invite pour Parsifal, la première grande incursion qu'il fera dans le monde wagnérien. Dès lors sa carrière internationale est lancée, de New York à Cleveland à Berlin à Londres... Si son répertoire s'oriente majoritairement vers les compositeurs classiques du XXe siècle (Schönberg, Stravinsky, Berg, Webern, Varèse, Debussy, Bartók) et ses contemporains (Berio, Carter, Ligeti etc.), il fait quelques incursions dans le XIXe siècle, avec une Tétralogie des plus mémorables à Bayreuth en 1976.
Ses détracteurs lui reprochent de diriger froidement, analytiquement, sans lyrisme surajouté, dans une transparence totale, là où ses admirateurs louent sa capacité à se diriger froidement, analytiquement, sans lyrisme surajouté, dans une transparence totale... chacun choisira son camp. Toujours est-il qu'à Bayreuth en particulier, et devant tous les orchestres avec lesquels il a travaillé en général, son intense clarté de conception et son oreille phénoménale représentent un contraste du meilleur aloi avec tant de chefs battant la plus incompréhensible mayonnaise tout en jouant aux grands inspirés.
MT © Qobuz 01/2013
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