Directeur du Festival de Fénétrange, Benoit Piatkowski présente la 35e édition qui s’ouvrira le 11 août prochain.

Depuis 1978, le Festival de Fénétrange s’est imposé parmi les événements musicaux d’envergure de l’est de la France, étant dès le départ à l'avant-garde tant sur le plan des œuvres programmées, que sur le choix de jeunes artistes. Depuis 2002, ce rendez-vous développe une recette originale : l’accord de la musique et de la gastronomie. L’édition 2013 qui se déroulera du 11 août au 6 octobre propose une alléchante programmation assez éclectique où se croiseront notamment Edouard Ferlet, Hopkinson Smith, Giovanni Mirabassi, Bertrand Chamayou et Marie-Nicole Lemieux pour n’en citer que quelques-uns. Président du Festival de Fénétrange, Benoit Piatkowski présente cette 35e édition et revient sur cette originalité de lier musique et gastronomie.

Comment est née cette thématique « italienne » de l’édition 2013 ?

Benoit Piatkowski : Depuis trente cinq ans, le Festival de Fénétrange a pris le parti de décliner sa programmation autour d’un thème : celui-ci peut se référer à un lieu, à un compositeur, à une époque de l’histoire de la musique ou à un répertoire défini. Cette liberté assumée lui permet également de se démarquer d’autres manifestations qui au contraire, ont décidé de se spécialiser (festival renaissance, baroque, romantique, etc.). Le choix de l’Italie, pour les trois prochaines éditions, permet une richesse de propositions tant dans le domaine de la musique, que de la gastronomie et des vins : en 2003, une programmation sur le thème « Venise », avait permis une prise de conscience de l’extraordinaire richesse de tout ce patrimoine culturel, que nous souhaitons aujourd’hui explorer.

Hopkinson Smith - © Jean-Baptiste Millot pour Qobuz.com

Comment la singularité des cadres idylliques où se déroulent les concerts du Festival de Fénétrange joue-t-elle sur la programmation ?

Benoit Piatkowski : Alors que de nombreuses manifestations voient le jour dans des lieux de tourisme porteurs en termes de public et de fréquentation (festivals d’été, dans des villes thermales, etc.), le Festival de Fénétrange a fait le pari, au contraire, d’être le moteur d’une valorisation d’un patrimoine architectural et écologique exceptionnel, mais malheureusement souvent déserté et méconnu. Chaque concert est alors imaginé pour mettre en valeur ces cadres idylliques que vous évoquez : ainsi collégiale, château, chapelle et autres îles sur la Sarre sont les lieux habituels d’hébergement de nos concerts. Mais ce patrimoine exceptionnel d’une cité médiévale remarquable ne nous fait pas oublier sa situation, lacs et forêts alentours, qui nous permettent d’inventer sans cesse de nouveaux écrins, bien souvent hors normes (tels que cette année le domaine du Lindre, ou encore l’héliodôme, maison solaire à 80% autonome en énergie). Bien entendu nous choisissons les lieux en fonction du type de concert et inversement ! L’acoustique est l’un des critères importants, comme par exemple la petite église de Tarquimpol, qui permet avec sa jauge d’une centaine de places, d’accueillir idéalement le récital de luth d’Hopkinson Smith : elle permet en effet de concilier qualité d’écoute, proximité entre artiste et public et donc de retrouver en quelque sorte, les conditions originelles d’écoute de ce type de musique. Nous proposons de la même façon une création sur la vie de Casanova, dans le cadre d’une maison bioclimatique : le manque d’infrastructures de spectacle dans notre belle région, nous oblige généralement à programmer nos concerts dans le cadre d’édifices religieux. Nous devons donc inventer de nouvelles « salles de spectacle », lorsque le répertoire, l’histoire où la jauge ne sont pas adaptés aux églises. Enfin la collégiale St Rémy, monument classé du XVIe, héberge la majeure partie de nos concerts. Son acoustique particulière met en valeur la voix, la musique de chambre et les formations réduites, type orchestre baroque. L’organisation annuelle d’un concert symphonique relève d’un exploit technique (organisation du plateau artistique dans le chœur de l’église), mais a le mérite de proposer au public local ce type de répertoire et à l’orchestre un travail avec un(e) soliste et/ou un chef invité. Enfin cette programmation symphonique, permet aux organisateurs de sensibiliser les collectivités territoriales à la réalisation d’un nouveau lieu hors-normes au sein du château de Fénétrange dans la cour XVIIIe, qui serait alors recouverte d’une verrière contemporaine. Le pianiste Aldo Ciccolini, ami du festival, parraine ce beau projet qui vise une jauge de public de cinq à sept cent personnes.

Depuis un peu plus de dix ans, la gastronomie s’est immiscée dans le festival : comment est née cette alliance ?

Benoit Piatkowski : Comme je l’ai expliqué précédemment, le festival est né dans un lieu magique, mais malheureusement déconsidéré et mal valorisé. En 1978, les infrastructures de restauration et d’hébergement étaient également cruellement déficitaires. Si les possibilités d’hébergement se sont développées récemment de façon satisfaisante (chambres d’hôtes ou gîtes en nombre et infrastructure hôtelière de qualité notamment dans le cadre de la proche Petite Pierre), sur place, au moment des concerts les offres de restauration sont faibles et inadaptées à un public venant en nombre sur une durée restreinte. En 2002, nous avons voulu tester une nouvelle formule « musique et gastronomie » : autour de la thématique des « épicuriennes », nous avons ainsi proposé à l’issue de chaque concert, une dégustation ou un repas. Le public et les médias ont adhéré fortement à cette formule et nous l’avons pérennisée. Aujourd’hui la programmation culinaire est autant exigeante que la programmation musicale : elle propose des rendez-vous avec des professionnels de la région, dont nous montrons le savoir faire, ainsi qu’un dîner gastronomique aux chandelles, dans le cadre idyllique des annexes historiques du château. Au delà de la valorisation de ce lieu, nous avons cherché à décider les collectivités locales à le restaurer. Les bâtis extérieurs et la magnifique cour en fer à cheval du XVIIIe ont été ainsi récemment réhabilités, sous l’impulsion du festival. En attendant une proche décision de ces collectivités pour une troisième tranche de travaux concernant les parties internes, nous poursuivons l’organisation de ce dîner dans des conditions techniques très difficiles (le lieu ne possède pas de salles de restauration ni de cuisine..), en nous appuyant sur le savoir-faire du proche lycée hôtelier de Dieuze. L’occasion d’un beau projet pédagogique pour les élèves, mais également d’inviter un grand chef souvent étoilé, parfois Meilleur Ouvrier de France, qui élabore les fiches techniques et donne un éclairage exceptionnel à cette soirée. Les arts de la table ne sont pas en reste avec les cristalleries de St Louis, ou la création de vaisselle en verre design de Catala Glass Art.

Giovanni Mirabassi - © Jean-Baptiste Millot pour Qobuz.com

De Giovanni Mirabassi à Marie-Nicole Lemieux pour faire court : le public suit-il et adhère-t-il à l’éclectisme que vous proposez ?

Benoit Piatkowski : Le festival a autrefois été programmé surtout pour mettre en valeur une voix. De nombreux récitals ont ainsi vu le jour, avec des personnalités d’exception telles qu’ Hildegard Behrens, Michel Sénéchal, José Van Dam, Ileana Cotrubas, Katia Ricciarelli ou Barbara Bonney, pour n’en citer que quelques unes. Aujourd’hui, le choix de thématiques permet de proposer la diversité voire l’éclectisme que vous évoquez, tout en conservant une place de choix aux grandes voix, cette année celle de Marie Nicole Lemieux. Proposer une programmation ouverte à tous les répertoires n’est pas une initiative très habituelle à notre époque : pourtant le festival respecte dans cette démarche son rôle d’animation du territoire, riche de la diversité de ses populations et de ses cultures. Nous voyons très bien que différents publics fréquentent nos concerts en fonction du type de musique proposé, mais nous voyons également la possibilité d’établir des passerelles, de décloisonner la musique dite « classique ». Ainsi nous attirons un nouveau public plutôt amateur de jazz ou de musique du monde (grâce à notre collaboration avec le festival jazz de La Petite Pierre), vers un répertoire nouveau où nous prenons soin de ménager au sein du programme, une place à des musiques peu ou mal connues, aux côtés d’œuvres plus faciles d’approche : car il faut aujourd’hui réinventer le concert « classique » pour construire le public de demain, nous avons engagé cette démarche audacieuse, qui peut parfois dérouter. Elle permet de satisfaire à la fois le nouveau public et le mélomane passionné exigeant, qui pourra entendre des œuvres certes fréquentées, mais toujours dans des interprétations de haut niveau.

Qui rêveriez-vous de programmer lors d’une prochaine édition ?

Benoit Piatkowski : Bien évidemment le festival s’invente en anticipant les programmations sur plusieurs années, surtout si l’on veut pouvoir trouver une date libre chez nos artistes qui généralement ont un planning très chargé ! Nous les choisissons en fonction du répertoire et donc pas forcément pour leur nom ou renom. L’idée est d’inviter la ou le meilleur interprète de l’œuvre choisie. Alors vous imaginez bien que les rêves ne manquent pas et se renouvellent incessamment ! Pour ne citer qu’eux, Sophie Koch ou Jonas Kaufmann seraient vraiment bienvenus dans l’une des programmations à venir : ils sont au sommet de leur carrière, s’intègrent parfaitement à notre vision de l’art du chant et ne sont pas encore venus à Fénétrange…

Le site de Festival de Fénétrange