Deux mois d'orchestre à Paris : en vedette le Philharmonique de Saint-Pétersbourg.

Couleurs du xxe siècle : tel aurait pu être le titre du concert dirigé par Boulez à la tête d'un Orchestre de Paris transfiguré (Pleyel, 28/11). Boulez doit beaucoup à Debussy. Ce qu'atteste le rayonnant Soleil des eauxqu'il dirige après Chronochromie de son maître Messiaen marqué, lui aussi, par la découverte de Pelléas... Les couleurs du temps virent au pastel avec la Philharmonie de Saint-Pétersbourg : de la musique de chambre à cent (TCE, 03 et 5/12). L'archet du merveilleux Vadim Repin trahit-il une faiblesse à l'orée du Concerto de Tchaïkovski, tout le groupe, d'un signe de Temirkanov (photo ci-dessus), se rassemble pour mieux l'épauler. Quelle souplesse, quelle générosité dans ce réflexe patriotique ! Le dernier soir, ce « festival Tchaïkovski » s'achève avec une Pathétique d'une poignante rectitude, sans pathos, mais avec une intensité qui met en jeu toutes les immenses ressources de cette phalange. Quel phénomène, ce jeune Finlandais Mikko Franck : ce bibendum n'a pas son pareil pour imposer au National (TCE, 06/12) les rythmiques les plus exigeantes. Quelle indépendance des bras ! Le droit tient le tempo sans rigidité, le gauche marque les départs et creuse les nuances. Qu'on ne l'ait pas mis à la tête d'un orchestre français paraît incroyable : avec quelle divination il fait saillir les charges mahlériennes de Chostakovitch contre Staline dans sa Symphonie n° 9 et quelle lumineuse lecture il donne de la Cinquième de Sibelius. Sans parler de sa délicatesse à l'égard du jeune et fringuant Sergey Khachatryan dans le Concerto de violon n° 2de Chostakovitch. Ce petit homme vif-argent transporte musiciens et public sur un nuage ! Avec trois Cantates célébrées par Harnoncourt à la tête du Concentus Musicus de Vienne, du Choeur Arnold Schoenberg et de quatre excellents solistes (Pleyel, 18/12), on retrouve les sommets dans un Bach bruissant de timbres rares : la patine et la foi. Heureux hasard du calendrier, Marek Janowski (Pleyel, 16/01) a dirigé un Orchestre de Paris allégé pour un autre bref poème symphonique de Dvorák, La Sorcière de Midi. S'il a fait l'objet d'un gros travail de décapage, le reste du programme n'a pas été aussi léger : Concerto de violon de Stravinsky un rien guindé avec la jolie Isabelle Faust en soliste et Symphonie n° 4 de Brahms encore en chantier. Janowski est de ces chefs qui ne colmatent pas les faiblesses des orchestres, mais révèlent ceux-ci par leur exigence même : voilà l'éleveur dont cette phalange a tant besoin ! À l'Opéra de Paris, ce travail a été fait, ce que prouve la fantastique soirée donnée par le grand Christoph von Dohnanyi à la tête de ses musiciens (Pleyel, 19/01). Il fallait leur excellence pour faire passer l'énorme choucroute réalisée en 1931 par Schoenberg à partir du Quatuor pour piano et cordes n° 1 de Brahms suivie d'Une Vie de hérosde Richard Strauss d'anthologie. La formule 1 française.