La ferveur confère à cet album à haute ambition, une tenue musicale et une rigueur de construction qui manquent trop souvent à ce genre d'entreprise.

Raphaël Imbert ne sonne pas comme John Coltrane. Tant mieux. La musique, quelles que soient les intentions qui président à son élaboration ne saurait procéder par addition d'univers, erreur plus sensible encore s'ils tentent d'être chacun la reproduction d'un monde préexistant, aboutissant alors à un collage impossible, à un patchwork roublard et sans intérêt. Le moteur de ce brillant Bach-Coltrane relève d'une philosophie musicale établissant un pont entre Johann Sebastian Bach et John Coltrane en considérant comme facteur décisif de leur inspiration le rapport que tous deux entretiennent avec le sacré, le transcen­dantal. Il est toutefois sans doute permis de faire remarquer ici que John Coltrane fut génial avant de devenir mystique et que Johann Sebastian, homme ­assez terrestre, composa aussi des cantates profanes. Quoi qu'il en soit, leur rapport au divin est indiscutable. Et même s'il ne l'était pas, ce point de vue amène les musiciens regroupés autour de Raphaël Imbert à mettre en oeuvre une qualité rare, décisive : la ferveur. Bien sûr, l'oreille est surprise d'entendre une improvisation se fondre avec le célébrissime exposé de l'Art de la Fugue et déplore une petite raideur dans le largo (à l'orgue) du Concerto pour clavier BWV 1056, comme la réussite inégale du vocal de Jean-Luc Di Fraya. Mais la beauté de la sonorité du saxophone soprano de Raphaël ­Imbert, que seule surpasse celle de John Surman, l'engagement, la concentration de tous, le timbre très pur de l'orgue de Bouc Bel Air, l'intervention miraculeuse de Gérard Lesne sur le premier air de la Cantate BWV 170 (qui fait de cette plage un moment rare, d'une vibrante spiritualité), le choix pertinent des thèmes coltraniens (Crescent, Song Of Praise, Reverend King), sont quelques-uns des éléments qui forgent la réelle communion musicale qui résulte de cette rencontre. Un mot encore : il n'était pas nécessaire de sélectionner des thèmes coltraniens à l'énoncé mystique pour convaincre de la possibilité de cette musique : I Want To Talk About You ou Naima auraient tout aussi bien fait l'affaire. Car ce que démontrent précisément ces musiciens, c'est qu'en musique, même si le matériau n'est pas totalement indifférent, ce ne sont jamais les étiquettes ou les intentions qui finalement comptent, mais bien l'esprit qui préside à sa mise en oeuvre. Et ici l'esprit qui souffle est celui qui est commun à l'humanité - qu'elle se recueille sur soi ou en direction du ciel - rendant possible et donc nécessaire cette « révélation plus haute que toute sagesse » dont parlait ­Beethoven à propos de la musique.

Raphaël IMBERT PROJECT

Bach-Coltrane

Raphaël Imbert (sax, cl), André Rossi (org), Jean-Luc Di Fraya (perc), Michel Péres (cb) Quatuor Manfred, Gérard Lesne (voc) { Zig Zag Territoires ZZT080101 (Harmonia Mundi). 2007. 72'

Nouveauté}

Spatialisation et réverbération particulièrement réussies. (belle notice bilingue où s'expliquent les auteurs)