Figures de l'après-guerre, Karlheinz Stockhausen et Maurice Béjart se sont éteints au terme d'une vie artistique exceptionnellement bien remplie.

Stockhausen appartient à cette génération qui, en rupture avec la vie musicale des années 1950, fit table rase du passé pour explorer avec passion le système dodécaphonique théorisé par Schoenberg. Après des études de composition auprès du Suisse Frank Martin, il se rend à Paris suivre l'enseignement de Messiaen - qui le compare aussitôt à un héros wagnérien, animé par un esprit d'aventure, et « qui exprime l'audace, le saut dans l'inconnu et la découverte de l'inouï ». Sa vie fut une longue exploration du phénomène acoustique, de la fondation du Studio électronique de Cologne en 1953 - avec comme première réussite Chant des adolescents -, aux grandes fresques spatiales - les trois orchestres de Gruppen en 1958, suivi deux ans plus tard des quatre orchestres et quatre choeurs de Carré -, jusqu'au syncrétisme de rythmes extra-européens développés à partir des années 1960. Avec Prozession pour ensemble et électronique (1967), Stockhausen retrouve la mélodie et s'engage dans une conception plus liturgique de la musique. Elle devient un rituel théâtralisé - Mantra, pour deux pianos, percussion et électronique (1970), Tierkreis et Sirius (1977), une méditation, l'atypique Stimmung pour six chanteurs (1968), ou encore un spectacle grandiose et wagnérien, mais inachevé, le cycle Licht : sept opéras, un par jour de la semaine. C'est également à partir des années 1970 que le compositeur étend sa sphère d'influence au jazz et à la pop, jusqu'à aujourd'hui, où la jeune génération s'entiche de l'électro bruissante de Telemusik (1966) et de Spiral (1969), autant que de l'ésotérisme intemporel de Stimmung. Tout public, Stockhausen ? Oui, car artiste aux multiples facettes, il fut capable comme Béjart de captiver la Terre entière par l'extravagance de son oeuvre. Danseur et chorégraphe, Béjart renouvela la danse contemporaine. Fini le classicisme du tutu et du collant ; cap sur la création et le rythme des temps modernes. De sa rencontre déterminante avec Pierre Henry - « Il m'a ouvert les oreilles » -, vont naître plus de 200 ballets ! D'abord Symphonie pour un homme seul (1955), puis une vingtaine de spectacles, dont Variations pour une porte et un soupir (1964), La Reine verte (1963), Tokyo 2002, sans oublier Messe pour le temps présent, au succès planétaire depuis sa création électrique au Festival d'Avignon en 1967. Plusieurs de ses ballets, dont ceux d'après Stravinsky (le Sacre du printemps et l'Oiseau de feu) et Ravel (Boléro) sont devenus des classiques étudiés dans les écoles. Une belle réussite pour ce maître, qui signa également plusieurs mises en scène d'opéras (La Damnation de Faust, Traviata, Salomé, Don Giovanni...), tout en confiant au terme de sa carrière, qu'avant d'être un objet de commentaire la danse : « C'est comme la peinture abstraite : un choc visuel et émotif. »