L’hécatombe continue en ce début de printemps, avec la disparition de trois chefs d’orchestre à quelques jours d’intervalle. Le plus célèbre d’entre eux, Sir Colin Davis, était encore en activité il y a peu, mais ses proches le savaient malade et affaibli. Au même titre que son aîné Sir Neville Marriner, il personnifiait un charme et une élégance toutes britanniques. Sir Colin Davis possédait un répertoire immense et laisse un nombre impressionnant d’enregistrements de qualité qui font références aujourd’hui. Cet aristocrate de la baguette, ce grand mozartien, s’est soigneusement tenu à l’écart des interprétations dites « historiquement renseignées » sur instruments d’époque. Il continuait à diriger les classiques viennois avec la tranquille assurance d’un savoir faire et d’un style qui avaient fait ses preuves depuis longtemps. Il suffit d’écouter ses enregistrements mozartiens pour comprendre qu’une telle querelle est sans importance, tant son art est à la fois inspiré et magnifiquement opératique par son sens des tempi et des situations. Au nombre de ses réussites citons Cosi fan tutte (Montserrat Caballé, Dame Janet Baker, Nikolaï Gedda, Wladimiro Ganzarolli), Don Giovanni (Kiri Te Kanawa, Martina Arroyo, Ingvar Wixell, Stuart Burrows), Les Noces de Figaro (Ingvar Wixell, Jessye Norman, Wladimiro Ganzarolli, Mirella Freni) et, surtout, un des rares enregistrements pleinement réussis de la Clémence de Titus, cet ultime chef-d’oeuvre de Mozart dont il est si difficile d’exprimer les merveilles pourtant nombreuses (Stuart Burrows, Dame Janet Baker, Lucia Popp).

Deux autres compositeurs surgissent dans notre mémoire lorsqu’on évoque Sir Colin Davis : Berlioz et Sibelius. On peut vraiment dire que le chef anglais a révélé Berlioz à son propre pays où on le considérait encore comme un compositeur malhabile, excité et, pour tout dire, pervertissant les sacro-saintes lois de l’écriture académique. De Berlioz, le chef anglais a pratiquement tout enregistré, et même réenregistré, jusqu’à ces dernières années. Sa première version intégrale des Troyens reste encore dans toutes les mémoires (John Vickers, Josephine Veasey, Berit Lindholm), sans parler de Benvenuto Cellini, de Béatrice et Bénédict, de Roméo et Juliette, de La Damnation de Faust, de l’Enfance du Christ, de la Symphonie fantastique, du Requiem, de la première mondiale de la Messe Solennelle ou des Ouvertures.

Sa relation avec la musique de Jean Sibelius était tout aussi passionnelle. On se souvient de sa première intégrale enregistrée avec l’Orchestre de Boston, puis d’une deuxième avec son Orchestre Symphonique de Londres et des nombreux autres enregistrements de ces 7 superbes Symphonies remises sans cesse sur le métier jusqu’à tout récemment en public et disponibles sous le propre label du LSO.

L’art de Sir Colin Davis avait de la classe. Il consistait en un mélange d’intensité, de noblesse, d’expression qu’il mettait au service de très nombreux compositeurs. La plus grande partie du legs discographique de cet immense chef est disponible sur votre Qobuz et vous pourrez passer de très riches heures à comparer les interprétations, souvent multiples, qu’il nous laisse.

La mort du chef-d’orchestre et flûtiste allemand Kurt Redel, le 12 février dernier à l’âge de 95 ans, est passée un peu inaperçue. Il avait pourtant fait partie des têtes d’affiches dès le début des années soixante à l’orée de la stéréophonie triomphante. La vague baroqueuse a balayé depuis longtemps ses interprétations des œuvres de Johann Sebastian Bach dont il s’était peu à peu fait, à l’instar de Karl Münchinger (1915-1990), le spécialiste à la tête de son fameux Orchestre Pro Arte de Munich fondé en 1953.

C’est la même année que Jean-François Paillard, disparu à son tour le 15 avril, fondait l’Ensemble instrumental Jean-Marie Leclair qui devint quelques années plus tard l’Orchestre de Chambre Jean-François Paillard. Si ses 232 enregistrements, vendus à 9 millions d’exemplaires à l’époque glorieuse de l’étendard ERATO, nous semblent aujourd’hui bien éloignés du style que nous aimons, n’ayons garde d’oublier tous les compositeurs révélés sous sa baguette. Ces noms alors peu connus, Charpentier, Rameau, Pachelbel, Vivaldi, Leclair, Mouret sont devenus depuis le pain quotidien de notre univers de mélomanes.