Darius était un grand roi bâtisseur, c'est lui qui fit construire, en 521 av. J.-C., une nouvelle capitale, Persépolis, située dans Iran d 'aujourd'hui. C'est avec cette même ardeur et cette même soif de créer que Darius Milhaud a bâti son œuvre musicale, forte de 450 opus, ce qui en fait un des compositeurs les plus prolixes de toute l'histoire de la musique. On commémore cette année, les quarante ans de sa disparition, le 22 juin 1974 à Genève où il avait élu domicile.

On a reproché à Darius de trop écrire et d'avoir trop écrit ! - disait malicieusement sa femme Madeleine - Mais il disait que si Mozart ou Schubert avaient vécu aussi vieux que lui, ils auraient probablement écrit beaucoup plus que lui ! Se définissant lui-même comme étant un Français de Provence de religion juive, il écrit avec une facilité surprenante. Homme généreux et fraternel, Milhaud a touché à tous les genres. Elève de Dukas et de Vincent d'Indy, il se forge vite un langage personnel où la polytonalité flirte avec le jazz et des musiques venues d'ailleurs: mélopées juives, rythmes latino-américains qui excitent ses oreilles et son imagination constamment en éveil. De son amitié avec Paul Claudel (qu'il suit comme secrétaire au Brésil lorsque l'écrivain est nommé ambassadeur de France) sont nées des œuvres originales comme L'Orestie d'après Eschyle, une trilogie composée entre 1913 et 1922, comportant Agamemnon, Les Choéphores et Les Euménides et, plus tard, le ballet brésilien L'Homme et son désir (1918). Cette collaboration culmine avec son grand opéra Christophe Colomb, dont la création est dirigée par Erich Kleiber. En 1920, Le Bœuf sur le toit assoit la réputation du jeune musicien. Milhaud compose intensément jusqu'à la guerre lorsque sa situation personnelle présente un véritable danger pour lui dans son propre pays occupé. Il s'exile alors aux Etats Unis et enseigne au Mills College d’Oakland (Californie) où il aura notamment comme élèves le pianiste de jazz Dave Brubeck, le compositeur de variétés Burt Bacharach, et les fondateurs du minimalisme américain Steve Reich et Philip Glass. De retour en France en 1947, il poursuit une double carrière de professeur de composition au Conservatoire de Paris et de compositeur. Son legs est immense et extrêmement varié : 12 symphonies, des opéras, de la musique de film, 18 quatuors dont un étonnant tour de force d'écriture puisque les 14e et 15e peuvent être joués seuls ou simultanément en octuor.

De l'époque de sa collaboration avec l'éphémère Groupe des Six, on retiendra bien sûr Les Mariés de la Tour Eiffel, mais aussi Le Pauvre Matelot, cette complainte populaire sur un texte de Jean Cocteau qui est comme un retour à ses origines modestes.

Dans les années 20, Darius Milhaud était perçu comme un musicien révolutionnaire, notamment par l'emploi de la polytonalité qui horrifiait le vieux Saint-Saëns. Les premières auditions de Protée, des Cinq Etudes pour piano et orchestre ou d'une œuvre comme Les Machines agricoles passaient pour de la provocation. Mais Milhaud se défendait de vouloir rompre avec la tradition, il affirmait n'être que le maillon d'une chaîne ininterrompue de créateurs pris dans le mouvement d'une époque où tout va vite. Pour lui, la nouveauté n'était envisageable qu'appuyée sur une tradition solide. Si Milhaud tournait résolument, et même ostensiblement, le dos à Brahms et à Wagner, il ne se détournait toutefois pas de la musique allemande, car Beethoven, Schubert, Mendelssohn, Schumann, Strauss, Hindemith et Mahler avaient ses faveurs.

Son langage n'a cessé d'évoluer par conquêtes successives, s'élargissant au contact de musiques aux multiples horizons. Milhaud a toujours oscillé entre deux pôles, d'une part vers une musique lumineuse, vivante et ensoleillée et, d'autre part, vers un sentiment religieux de plus en plus exacerbé comme le montre si bien l'admirable Service sacré pour le samedi matin et les nombreuses oeuvres d'inspiration biblique. Sans aucun complexe, il a souvent privilégié la ligne mélodique dans sa musique, ce qui a suscité évidemment le mépris et la condescendance des avant-gardistes de tous poils.

Le moment est venu de rendre l'hommage qu'il mérite à Darius Milhaud - écrit la musicologue russe Ludmilla Kokoreva - grand musicien du siècle, laissant un héritage artistique richissime dont la valeur reste encore à découvrir. Il stimula les esprits et donna une impulsion puissante au mouvement de l'art en migration vers de nouvelles rives. La musique de Milhaud mettait en ébullition ses contemporains, les forçait parfois à protester ou à s'indigner. Aujourd'hui, elle suscite la joie véritable de la fréquentation du beau, provoque un plaisir artistique élevé.

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