Pionnière de la musique ancienne, la grande claveciniste française s’est éteinte à l’âge de 87 ans.

Huguette Dreyfus est décédée le 16 mai 2016. Celle qui vient de s’éteindre à 87 ans n’était pas juste une grande claveciniste, elle était avant tout une pionnière de la musique ancienne. Elève de Ruggero Gerlin, lui-même disciple de Wanda Landowska, Huguette Dreyfus a contribué à la résurrection de l’instrument en France. De nombreux clavecinistes devenus célèbres ont étudié à ses côtés…

Née à Mulhouse le 30 novembre 1928, Huguette Dreyfus commence d’abord l’étude du piano à seulement quatre ans. En 1946, elle travaille avec Lazare Lévy puis Norbert Dufourcq. Elle étudie parallèlement le clavecin à l'Académie Chigiana de Sienne avec Ruggero Gerlin. En 1958, elle remporte le concours international de clavecin de Genève et devient l'une des figures incontournables de la renaissance de la musique ancienne, contribuant peu à peu à un véritable regain de popularité du clavecin dans l’hexagone.

Son élégance et sa sensibilité ont fait d'elle une personnalité incontournable du renouveau baroque. Amoureuse des instruments anciens, Huguette Dreyfus possédait un des cinq magnifiques clavecins construits par Jean-Henri Hemsch, célèbre facteur de clavecins allemand qui travailla à Paris et dont les instruments, parmi les meilleurs construits au XVIIIe siècle, sont souvent considérés comme de vraies Rolls.

La transmission fut aussi au cœur de son art et Huguette Dreyfus enseigna à des générations de jeunes interprètes. Ont ainsi étudiés à ses côtés des musiciens comme Christophe Rousset, Olivier Baumont, Blandine Verlet, Jory Vinikour, Brigitte Tramier ou bien encore Noëlle Spieth. Sa très vaste discographie (Valois principalement mais aussi Archiv Produktion, Denon ou bien encore Erato) n’a malheureusement jamais été rééditée en numérique. On y trouve de nombreux enregistrements consacrés évidemment à Bach, Couperin, Rameau et Scarlatti mais aussi des choses inattendues comme des extraits de Microcosmos de Bartók.

Nous republions ici un extrait des souvenirs de Michel Bernstein que Qobuz avait publié en 2009. Le fondateur de Valois, d’Astrée et d’Arcana, l’un des plus importants éditeurs français de l’après-guerre, évoquait sa rencontre et sa collaboration avec Huguette Dreyfus :

À quelques temps de là, plusieurs personnes, dont le musicographe Roland Manuel qui animait une intéressante émission hebdomadaire sur les ondes de la Radiodiffusion française, me parlèrent d’une jeune française dont on commençait à reconnaître le talent de concertiste : Huguette Dreyfus. Le paysage du clavecin français était pauvre à l’époque et je contactai aisément l’artiste qui habitait Quai d’Orsay, face au Pont de l’Alma. La première chose qui me frappa en entrant dans cet appartement bourgeois un peu modern style datant sans doute de l’entre-deux-guerres, fut le clavecin Blanchet qui trônait dans le salon de réception. Pour la première fois de ma vie je voyais – et j’entendais – un clavecin français du XVIIIe siècle. Rien à voir avec ce que je connaissais. En fait, la grande Wanda avait commandé à Pleyel la construction d’un clavecin sans lien avec ce qui avait existé jadis et il faut bien avouer que la sonorité, assez puissante, manquait quelque peu de raffinement. Tant et si bien que les amateurs de clavecin avaient été soulagés lorsque la firme allemande Neupert avait commencé la fabrication d’un instrument mieux proportionné et moins rude. Mais le Neupert lui-même devait rapidement apparaître comme sommaire et inapproprié dès que l’on eut connaissance des instruments d’époque et que ceux-ci furent correctement restaurés. Pour en revenir au Blanchet d’Huguette Dreyfus je ne peux pas dire aujourd’hui si c’est son clavecin ou son jeu, sans doute les deux, qui me décida d’entreprendre une collaboration avec elle. Seulement voilà ! Huguette Dreyfus ne voulait pas sortir son clavecin de son appartement où – acoustique et trafic s’y opposant – il était hors de question d’enregistrer la moindre note. Pas question cependant de revenir aux Pleyel ou autres Neupert après ce que j’avais entendu. C’était l’impasse. C’est Peter Willemoës qui nous en tira. Il existait au Danemark, nous dit-il, un facteur artisanal qui avait réussi quelques clavecins assez proches de la sonorité ancienne (je ne cherchai pas trop si le style en était allemand, italien ou français) et dont le fonctionnement était excellent. Huguette partit pour Copenhague, enregistra sur un instrument de ce Bengard, le facteur en question, les Nouvelles Suites de Pièces de Clavecin de Rameau et en revint fort satisfaite. En tout état de cause, c’était un net progrès artistique par rapport à tout ce que l’on pouvait entendre en France. Curieusement la presse ne fut pas tendre pour ce Rameau. Cela me surprit mais ne me troubla pas outre mesure : les temps n’étaient pas encore venus, pensais-je. Ils devaient venir vite. Le second disque que nous enregistrâmes fut un Couperin. Et là ce fut un concert de louanges qui conduisit à un Grand Prix de l’Académie Charles Cros. Tout de même quelque peu interloqué, je m’en ouvris à certains critiques. C’est, me dit-on, « qu’elle a fait de grands progrès ». Je veux bien que cette ancienne élève de Ruggero Gerlin à Sienne ait pu mûrir en l’espace de six mois... Mais comme elle fut toujours très professionnelle et nullement échevelée, il ne me semble pas que les éventuels progrès entre deux disques de style analogue soient tels que l’un ait été médiocre et l’autre digne d’un Grand Prix du Disque. Ne pourrait-on pas plutôt penser que le premier paru avait été une telle nouveauté qu’il désarçonnait certains musiciens et que ceux-ci s’y étaient néanmoins habitués quand parut le second ? Toujours est-il que nous n’eûmes plus jamais de réactions négatives, ni sur les deux autres Rameau, ni sur les quatre Couperin, ni sur les quatre Scarlatti, ni sur un disque comportant quatre Toccatas de Bach que nous réalisâmes à intervalles réguliers les années suivantes, pour ne rien dire des enregistrements de musique de chambre où Huguette Dreyfus jouait en partenariat avec Christian Lardé, Jean Lamy ou Georg Friedrich Handel. Mais nos relations devaient cesser assez brusquement à l’instigation de l’artiste. Dès le début, j’avais songé à construire une intégrale de l’Œuvre de Clavecin de Bach, un peu le parallèle à celle que j’avais réalisée pour l’orgue avec Michel Chapuis. J’en avais fait le plan mais Huguette me répétait régulièrement qu’elle ne se sentait pas encore mûre pour une telle tâche et qu’elle souhaitait disposer encore de quelques années avant de l’entreprendre. C’est le genre d’argumentation que je peux parfaitement comprendre. J’attendis. Pour l’initier, nous réalisâmes ce disque de Toccatas dont je viens de faire mention. Aussi quelle ne fut pas ma stupéfaction lorsqu’elle me dit un jour qu’elle voulait soustraire de cette intégrale les Suites anglaises (ou françaises, je ne me souviens plus mais cela n’a pas d’importance) au prétexte que DGG, ne travaillant plus avec Ralph Kirkpatrick, lui avait proposé de les graver pour sa prestigieuse collection Archiv Production. Nous discutâmes longuement : Huguette était absolument décidée à faire cet enregistrement, quelles qu’en fussent par ailleurs les conséquences. Je lui rendis donc sa liberté en lui précisant qu’il devenait hors de question que j’enregistre le reste. Une intégrale partagée entre deux éditeurs, dont l’un était microscopique et l’autre le plus important trust du secteur ? Non merci, très peu pour moi. Ainsi s’interrompit après dix ans de bons et loyaux services le partenariat entre Huguette Dreyfus et Valois. J’étais meurtri par cette sorte d’obstination qui confinait au manque de loyauté. Je sentais qu’elle ne remplacerait pas Kirkpatrick chez DGG et, de fait, elle ne fit que peu de disques sous cette étiquette. Mais j’étais néanmoins soulagé. Je venais en effet de rencontrer Blandine Verlet qui me semblait vivre la musique de façon plus existentielle et plus doloriste. À une Huguette Dreyfus qui triomphait interprétativement par une bonne santé virtuose et un peu académique s’opposait une Blandine Verlet dionysiaque qui faisait intervenir la passion et la méditation. Tout en elle était message, ce qu’Huguette refusait absolument, ainsi qu’elle le dit à l’époque lors d’une interview à Radio-France.

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