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Camille Saint-Saëns

Lorsque paraît l'un des tout premiers articles au sujet de Camille Saint-Saëns, on est en 1846 : « Nous venons d'assister aux débuts d'un charmant enfant de dix ans [l'article de L'Illustration du samedi 25 mai n'exagère pas : le bambin a bien dix ans et six mois] qui, dans un concert donné chez M. Pleyel, s'est fait entendre sur le piano, avec le concours de l'Orchestre des Italiens. Camille Saint-Saëns nous a fait connaître une de ces hautes intelligences qui font l'époque. Sa prodigieuse mémoire lui a permis de jouer dans la même soirée, sans en avoir la musique écrite devant les yeux ; un concert de Mozart, un air varié et une fugue de Haendel, une toccata de Kalkbrenner, un prélude et fugue de Bach, et enfin un concerto de Beethoven. » 1846. Schumann, Mendelssohn et Chopin sont encore en vie, Janácek, Debussy, Mahler et Strauss ne sont pas près d'être nés encore. Autrement dit, Camille Saint-Saëns a mis les pieds dans la vie musicale européenne dès avant le milieu du XIXe siècle et dans ces conditions, ce n'est que justice de reconsidérer les reproches qu'on lui fait si souvent d'être un compositeur conservateur à l'aune de ces données. Pendant des décennies, en réalité, il fut à la pointe de la nouveauté, de l'invention, de toutes les avancées - Berlioz et Liszt, que l'on ne peut guère traiter de réactionnaires, lui vouèrent une grande admiration -, il défendra la musique de ses contemporains les plus avant-gardistes comme, justement, Liszt et Berlioz, ainsi que Wagner et tant d'autres. Il sera également le champion de la musique ancienne, Rameau dont il contribuera à éditer l'oeuvre complet, et champion de certaines nouvelles technologies dont le cinéma - on lui doit l'une des tout premières musiques de film, pour L'Assassinat du duc de Guise de 1908 - et l'électricité, qu'il célébrera avec sa cantate Le feu céleste de 1900 lors de l'Exposition universelle !



Saint-Saëns est né en 1835, l'année du Père Goriot, l'année aussi de la réforme de l'orthographe française après laquelle on n'écrit plus « je connois le françois & les savans » mais « je connais le français et les savants ». À treize ans il entre au Conservatoire de Paris où il reçoit l'enseignement de François Benoist pour l'orgue, Jacques-Fromental Halevy pour la composition et les conseils de Charles Gounod. Il en sort en 1851 avec un Premier prix d'orgue ; c'est la même année qu'il échoue au Prix de Rome, qu'il ne remportera d'ailleurs jamais. Qu'importe, il est rapidement nommé titulaire des orgues de l'église Saint-Merri à Paris (il en profite aussi pour faire jouer sa Première symphonie : il a 18 ans), puis, en 1857, à la prestigieuse tribune de l'orgue Cavaillé-Coll de la Madeleine à Paris, à la suite de Lefébure-Wély, un poste qu'il assurera pendant vingt ans : il n'a que vingt-deux ans. Ses improvisations lui vaudront l'admiration des observateurs les plus exigeants, Liszt en tête qui s'y connaît dans le genre et le déclare le « premier organiste du monde ». En 1867 Saint-Saëns prend sa revanche sur le Prix de Rome manqué : sa cantate Les Noces de Prométhée est récompensée lors d'un concours dont le jury réunit rien moins que Rossini, Auber, Berlioz, Verdi et Gounod.



En plus de ses activités d'organiste, Saint-Saëns accepte de 1861 à 1865 un poste de professeur de piano à l'Ecole Niedermeyer, où il met au programme la musique contemporaine - Liszt, Berlioz, Schumann, Wagner - considérée comme trop dérangeante dans cette institution conservatrice qui nourrissait ses élèves de Bach et de Mozart. Parmi ses disciples : Fauré et Messager. Ce seront ses seules années d'enseignement « les mains dans le cambouis », mais il cofonde en 1871 la Société nationale de musique qui se fixe pour objectif de promouvoir la musique des jeunes compositeurs français. Franck, Fauré, Duparc, Massenet sauront largement profiter de sa générosité d'organisateur de concerts et de passeur de nouveaux talents. Dans les années 1870, il écrit dans les journaux sans craindre de provoquer la polémique.



Jusqu'au tournant du XXe siècle, ce ne seront pour Saint-Saëns qu'honneurs et succès. Ses oeuvres sont triomphalement accueillies les unes après les autres, jouées par les meilleurs solistes et les plus prestigieux orchestres d'alors, ses opéras créés à l'Opéra de Paris, à Weimar, à Monte-Carlo ; il est décoré de toutes parts - Docteur Honoris causa à Oxford et Cambridge (1893), Officier de la Légion d'honneur (1881), Académie des Beaux-Arts (1884), Croix du Mérite et Commandant de la Légion d'honneur (1900), Victorian Order (1902), Grand Croix de la Légion d'honneur (1913). Après le décès de sa mère en 1888, qui l'affecte profondément, il se met à voyager énormément, à travers toute l'Europe, en Russie, en Amérique du Sud, aux Etats-Unis, en Asie, en Afrique du Nord. C'est en Afrique du Nord, justement, qu'auront lieu deux événements marquants de sa carrière. En Egypte, d'abord, où il compose en 1896 le Cinquième concerto pour piano dit «Egyptien», même si les sonorités de l'ouvrage n'ont rien de particulièrement nord-africain (certes, le second mouvement comporte de nombreuses allusions à des thématiques exotiques, mais on nage plutôt en pleine Espagne arabo-andalouse ; et si un des thèmes a, paraît-il, été repris d'une romantique chanson nubienne chantée par des bateliers sur le Nil, un tel romantisme semble plutôt parisien ; quant au troisième mouvement, il évoque plus vraisemblablement le grondement des moteurs d'un paquebot, accompagné des jambes levées des danseuses de cancan). Le second événement marquant d'Afrique du Nord, c'est son ultime séjour en Algérie... où il est mort en 1921, âgé de 86 ans. En 1898, Saint-Saëns connaîtra encore un triomphe devant 8 000 personnes avec sa musique de scène sur la tragédie Déjanire de Louis Gallet lors d'un concert qu'il organise à Béziers au Théâtre des arènes pour récolter des fonds afin de les restaurer.



Parallèlement, la vie privée de Saint-Saëns ne connaît pas la même plénitude. Après son mariage tardif en 1875 à l'âge de quarante ans avec une jeune fille de dix-neuf ans naissent deux garçons qui perdront la vie la même année, en 1878 ; Saint-Saëns - qui n'est pas heureux en couple en raison probablement de son attirance homosexuelle - se séparera de sa femme trois ans après ce malheur familial sans jamais divorcer par la suite.



Mais les deux dernières décennies de sa vie, il faut le dire, ont été marquées par une certaine amertume. En France, Debussy, Stravinsky, Schönberg, Mahler, Strauss, Ravel sont arrivés sur le marché du grand modernisme (et déjà morts pour certains, alors qu'ils étaient de trente ou quarante ans les cadets de Saint-Saëns), sans même parler du jazz ; le malheureux vieux compositeur était forcément relégué sur le banc de touche. Il a accueilli avec dédain les nouvelles oeuvres de ses illustres jeunes collègues, qui lui rendaient bien, pour certains, un total mépris. Saint-Saëns finit par être vu comme une vieille barbe, son style sentant l'encens et l'accord parfait. C'est radicalement oublier ses oeuvres de l'ultime maturité, comme les trois sonates de 1921 - pour basson, pour clarinette, pour hautbois - d'une insolente jeunesse, bourrées d'allusions au XVIIIe siècle dans la mouvance néo-baroque d'alors, concises et ramassées, avec quelques délicieux clins d'oeil au romantisme tranquille qui, soyons juste, était celui de toute sa vie. Il se lance toujours dans d'innombrables expérimentations harmoniques, mélodiques, sonores, mais dans un cadre formel résolument classique, ce qui fit dire aux sourds qu'il n'avait rien inventé - les sourds en question étant incapables de déceler, au-delà de la seule forme qu'ils peuvent mesurer de leurs yeux, les modernismes qu'ils ne peuvent entendre de leurs oreilles.



Il n'en reste pas moins que, jusqu'à sa mort, les pays anglo-saxons le vénéreront - l'Angleterre, en particulier, où le victorianisme ambiant a laissé ses traces jusqu'à l'Après-guerre. Enfin, sa renommée comme phénoménal pianiste et organiste lui restera toujours acquise. Il n'existe, hélas, qu'une microscopique poignée d'enregistrements du vieux maître au piano, alors que la technique de prise de son commençait à être sérieusement développée dès les années 1910, en particulier pour un instrument soliste tel que le piano.



L'une de ses compositions les plus célèbres est une farce qu'il n'avait pas destinée à être jouée en public, Le Carnaval des animaux, et encore moins destinée à devenir sa marque de fabrique. En réalité, il avait même interdit qu'elle fût jouée de son vivant, excepté la pièce Le Cygne ; mais avec sa thématique facile, ses facéties sonores, son texte d'accompagnement modulable selon la fantaisie du narrateur (Francis Blanche en a établi sa propre version, fort datée de nos jours), c'est une oeuvre idéale pour faire aborder la musique classique aux enfants des écoles, aux côtés de Pierre et le loup. L'autre grand tube de Saint-Saëns, c'est sa Troisième symphonie, dite « Symphonie avec orgue », la partition comportant en effet une partie d'orgue assez conséquente sans être pour autant un concerto. Mais ses sonorités rares et chatoyantes, ses combinaisons instrumentales hardies, son irrésistible finale, en font un énorme bonbon symphonique que l'on ne se lasse pas d'entendre. Et si l'auditeur y trouve son compte, le musicien n'en est pas moins sollicité, car la partition est autrement plus complexe qu'il n'y paraît. Enfin, n'oublions pas l'inoubliable Samson et Dalila, grand peplum historico-lyrique, bourré d'airs mémorables et somptueux.



Mais ce serait réduire Camille Saint-Saëns à bien peu d'oeuvres que de se limiter à ces trois seuls opus. Essayez, par exemple, sa magnifique Fantaisie pour harpe et violon, Op. 124 de 1907, dans laquelle il fait siennes bien des tournures debussystes : ton élégiaque, amples lignes, et surtout les harmonies par tons. Saint-Saëns n'hésite pas non plus à user de rythmes inégaux, comme le 5/4. Un grand moment du compositeur, hélas totalement oublié, qui le place sans aucun doute possible parmi les bons vieux modernes.



© Qobuz 01/2013

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