Your Future Our Clutter

Chronique

Personne ne m’a appelé Sir de toute ma vie : depuis 1977, Mark E. Smith n’est pas content. Plus précisément, le chanteur, compositeur, seul membre permanent, et figure emblématique de The Fall, groupe adulé de la scène alternative britannique, à la longévité inversement proportionnelle au succès public (bien que quelques singles se soient frayés un modeste passage dans les paysages escarpés des charts), se montre à travers ses chansons (appelons cela ainsi, dans le maelstrom sonique qui les caractérise) acide, amer, vindicatif, misanthrope, et hargneux. Mais content, jamais. Cette force de caractère aura permis à cet unique exemple de persistance électrique à l’échelle mondiale, de conserver l’énergie primale des premiers temps du punk, tout en accostant farouchement les rives de musiques plus expérimentales.





Autant dire que pénétrer dans le vingt-huitième (exceptionnelle longévité, on a dit) album du groupe de Manchester (qui, outre la compagne du chanteur, Eleni Poulou, aux claviers, intègre l’extraordinaire guitariste Peter PP Greenway, Keirong Melling à la batterie, et le bassiste Dave Spurr), nécessite une âme bien trempée, et une bonne dose d’adulation masochiste, Smith n’appréciant rien que de mettre son audience plus bas que terre. Ce qui n’est somme toute pas très grave, puisqu’on comprend difficilement la plupart des paroles, filtrées par un organe nasillard.

Mais l’on ne peut que s’incliner face à cette cantate pour temps modernes (et troublés), rebondissant d’imprécations vocales en figures rythmiques hypnotiques. La puissance de « Y.F.O.C./Slippy Floor » et ces longues minutes de guitares saturées et maltraitées n’a ainsi vraisemblablement pas d’équivalences dans la scène actuelle. Mais la grandeur du groupe réside dans sa capacité simultanée à produire des chansons incisives (« Hot Cake »), ou de véritables illustrations cinématographiques pour pellicules inventées (« Cowboy George »), dans lesquelles se percutent héritages du rock allemand, harmonies empruntées à l’electro, ou…réminiscences de Daft Punk. La morale de ce qui nous est donné à entendre reste, somptueuse, que tout l’environnement peut concourir à l’inspiration, et que le son se nourrit de la permanence de cette inspiration.



Your Future Our Clutter (votre futur notre désordre) fait appel à notre sensibilité, à notre humilité – face à une musique qui ne s’avère jamais ce que l’on en attend -, et consacre l’inventivité d’un artiste au potentiel créatif sans concurrence, dans des sessions qui ne s’autorisent jamais à contempler avec suffisance un passé, aussi glorieux soit-il. The Fall est un groupe unique.





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