Pour cet Opus 57 en fa mineur, archi-enregistré, nous ne nous sommes intéressés qu’aux versions les plus récentes.

Ecoutez l’intégralité de l’écoute comparée en podcast et jugez-par vous-même !

Pour cette nouvelle édition podcast, dix interprétations de la Sonate Appassionata de Beethoven, commentées par Bertrand Dermoncourt, Eric Taver et Franck Mallet. Durée : 149 min.

Cette « Écoute comparée » de Classica-Répertoire n’est pas tout à fait comme les autres. Nous n’avons pas osé, avouons-le, nous lancer dans une discographie intégrale de la Sonate « Appassionata », tant cette page a été enregistrée. Quelle maison de disques, en effet, ne possède pas son album des « trois grandes sonates de Beethoven » : les Sonates n° 8 « Pathétique », n° 14 « Clair de lune » et n° 23 « Appassionata » ?

Plutôt que de nous lancer dans une comparaison où auraient nécessairement figuré les enregistrements bien connus de Rudolf Serkin, Yves Nat ou Claudio Arrau, nous avons donc préféré tenter de cerner ce que pourrait être une version, disons, «moderne » de l’« Appassionata », en nous référant aux deux intégrales enregistrées dans les années 1990 qui ont marqué les esprits : celle de Stephen Kovacevich, publiée par EMI (l’Opus 57 ayant été enregistré en 1999), et celle qu’on appelle communément, chez les discophiles, Alfred Brendel III, parue chez Philips (l’enregistrement date de 1994. Alfred Brendel, Beethoven : Piano Sonatas Opp.57 "Appassionata", op. 78, op. 79 & op. 90).

Nous n’avons pas retenu de versions sur pianoforte. On attend à vrai dire l’enregistrement de Ronald Brautigam, dans le cadre de son intégrale en cours chez Bis, qui a toutes les chances de remettre les pendules à l’heure. Citons toutefois les enregistrements de Lambert Orkis (qui a enregistré l’œuvre trois fois sur le même disque et sur des instruments différents), bien délicat (2003, Bridge) et celui de Frank Braley, bien plus intéressant avec ses beaux clairs-obscurs, qui joue cette sonate non pas sur un pianoforte mais sur un Steinway de 1882 (2001, Harmonia Mundi).

Classiques et virtuoses

András Schiff (1996, Teldec ou Elatus), en complément des Concertos avec Haitink, avait su combiner émotion et classicisme, lequel se transformait en prudence dans le volume VI de son intégrale en cours qui vient tout juste de paraître (2008, ECM).

Angela Hewitt (2005, Hyperion. Ludwig van Beethoven, Sonates pour piano (volume 1)), dont on peut aussi qualifier l’esthétique de « classique », avait su nous surprendre par son interprétation engagée de l’«Appassionata ». Nous préférons la retenir pour notre audition en aveugle.

Deux autres pianistes nous ont livré des versions raisonnées dans leurs intégrales en cours, Paul Lewis (2007, Harmonia Mundi), contrôlé et équilibré, et Kun-Woo Paik (2005, Decca), d’une belle évidence coloriste. Ils s’inscrivent franchement, et même ouvertement dans le cas de Lewis, dans la manière apaisée de la dernière intégrale de Brendel, et ne nous ont donc pas paru s’imposer pour la « finale » en aveugle.

Nous passerons sur l’exécution de Mari Kodama (2003, Pentatone), pur exercice de virtuosité digitale, pour retenir, dans la catégorie des interprétations pianistiquement époustouflantes, celle d’Igor Tchetuev (2005, Caro Mitis). Nous le préférons à Artur Pizarro (2002, Linn) épais et lourd plutôt que puissant ou István Székely (1990, Capriccio) sanguin mais sans mystère.

Sveltesse et modernité

La maîtrise instrumentale de Freddy Kempf (2004, Bis) emporté mais un peu trop gratuitement sophistiqué, ou celle de Nikolaï Lugansky (2005, Warner), si précis dans ses dynamiques extrêmes, mais maniéré et poseur, relève d’une vision moins commune de cette sonate quasi guerrière en ses mouvements extrêmes. Cette appréhension de Beethoven, que l’on qualifie traditionnellement d’apollinienne, a été superbement défendue en studio par Maurizio Pollini (2002, DG). Le CD paru en 2003 comprenait également un bonus : une version captée la même année en concert au Musikverein de Vienne, moins bien enregistrée, certes, mais peut-être plus engagée. Nous conservons les deux versions pour l’audition en aveugle, qui nous permettra certainement de les départager. Mais on peut se dégager encore plus de la vision « romantique » de notre sonate. C’est ainsi que Jonathan Gilad (2002, Lyrinx) la transforme en une sorte d’objet abstrait ou que Ronald Smith (1998, Appian) la transfigure en une pure combinaison de rythmes et de couleurs, comme s’il s’agissait d’une œuvre du XXe siècle. Autant choisir un pianiste reconnu comme un spécialiste de Ligeti pour défendre une telle option dans notre finale : ce sera Laurent Aimard (2001, Teldec), qui donna une interprétation très contrôlée dans un enregistrement capté à Carnegie Hall.

Fortes personnalités

Restaient quelques inclassables. Aldo Ciccolini (2000, Bongiovanni), après de premiers Beethoven chez Nuova Era, nous a proposé une intégrale chez Bongiovanni. Sa Sonate n° 23, comme les autres, privilégie curieusement le chant et une certaine douceur. Trop atypique pour figurer dans notre audition en aveugle. Nous avons préféré confronter deux jeunes interprètes, à la fougue à peine maîtrisée mais jubilatoire : Muriel Chemin (2000, Solstice) et Fazil Say (2005, Naïve). Enfin, nous avons ajouté à notre sélection un enregistrement de 1962, mais que les Français n’ont découvert que tardivement. Celui d’Ivan Moravec (1962, VAI) dont la force tranquille avait enchanté la critique de Répertoire en 1995.

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