Il demeure pour les mélomanes l'un des grands chefs d'orchestre de l'immédiat après-guerre. A l’occasion du cinquantenaire de sa disparition, Qobuz évoque la carrière et le legs discographique de Eduard van Beinum, cette baguette trop oubliée qu'il est urgent de redécouvrir.

Né en 1901 à Arnhem aux Pays-Bas, Eduard van Beinum commence très tôt des études de musique, notamment le violon et le piano. En 1918, il intègre les pupitres de violon de l’orchestre de sa ville natale, et en 1927 en devient même le chef pour quatre années. Au début des années trente, Willem Mengelberg, le célèbre directeur musical de l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam, le remarque et en fait son assistant. En 1938, il devient chef principal de l'orchestre aux côtés de son mentor. Après la guerre, il devient plus célèbre, de par ses réguliers voyages à Londres. En 1947, il devient chef de l'Orchestre Philharmonique de Londres. Cependant, il revient très vite à Amsterdam afin d'assumer seul la direction musicale du Concertgebouw. Débute alors une nouvelle période dans l’histoire de l’orchestre néerlandais, le style de Beinum se différenciant notablement de celui de son ainé, et anticipant d’une certaine manière sur le règne impressionnant de Bernard Haitink. Le décès inattendu de Beinum, le 13 avril 1959 achève l’une des relations les plus passionnantes entre un chef et son orchestre. Les nombreux enregistrements Decca et Philips en témoignent aisément.

Eduard van Beinum était à l’aise dans tous les répertoires : Haydn, Brahms, Debussy, comme Schönberg ou Bartók. Son style de direction, toujours souverainement équilibré, lumineux, puise au cœur des partitions, dont il réussit à rendre avec une rare maîtrise toute la vérité architecturale. Il y a dans cet art une simplicité indéniable, qui trouvait dans les répertoires classique et moderne (début du XXe siècle) un terreau propice. Ses interprétations debussystes sont un miracle d’équilibre, de tenue et de lumière. La Mer demeure l’une des plus fluides et fines qui soient. Le Concertgebouw des années 1950 avait la sonorité pour la musique française – notamment grâce au travail de Pierre Monteux, invité régulier dans les années 1940 et 1950. Une sonorité d’ensemble profondément aérée, une matière profondément souple et chaleureuse. Beinum y ajoutait son style, serein et apollinien. Autre partition que Beinum affectionnait tout particulièrement, et dans laquelle rayonnait son intelligence, la Première Symphonie de Brahms. Il l’a gravée trois fois, en 1946 (Decca), en 1951 (Decca) et en 1958 (Philips). Sa troisième gravure reste l’une des versions de référence – ne manquez pas non plus la Rhapsodie pour contralto avec la sublime voix d'Aafje Heynis, bouleversant !

Dans les compositeurs de l’époque classique, Haydn, Mozart, ou bien encore Johann Christian Bach, Beinum impressionnait non seulement par la vivacité de ses accents et son énergie, mais aussi par la subtilité des couleurs, des éclairages. Quelques exemples : le piano subito avant la reprise du thème dans le dernier mouvement de la Symphonie n°35 « Haffner », ou la Concertante de la Sérénade « Posthorn » de Mozart. Se dégage indéniablement de sa direction une pureté, un sens du raffinement sonore sans trop d’équivalent à la même période parmi ses collègues. Beinum était un immense interprète des compositeurs du début du XXe siècle, sans doute en raison de cet alliage unique entre équilibre des sonorités et souplesse rythmique. Quelques enregistrements somptueux à cet égard : les Quatre Interludes marins de Britten (2 fois, 1947, 1953), Boléro, La Valse de Ravel (1958), la Musique pour cordes, percussion et célesta (1955) et le Concerto pour orchestre (1948) de Bartók, la suite de L’Oiseau de Feu (1955) et Le Sacre du printemps (1946) de Stravinski, Hary Janos de Kodaly (1955), En Saga (1952) de Sibelius. Malheureusement, ces enregistrements demeurent rares aujourd’hui, et ne sont pas disponibles en numérique. La maison britannique Decca, responsable également du fonds de catalogue Philips, se plongera sans doute un jour avec bonheur et de manière exhaustive dans le legs de cet artiste à redécouvrir.

Deux références pour découvrir l'art du chef néerlandais :

Eduard van Beinum, Vol. 1 CLASSIQUE - PARU mai 2003 – DECCA – 45,99 € BEETHOVEN : Les Créatures de Prométhée (intégrale) – BRAHMS : Symphonie n°1 – BERLIOZ : Symphonie fantastique, Le Carnaval romain – BARTÓK : Concerto pour orchestre – PIJPER : Symphonie n°3 – DIEPENBROCK : Marysas (La source enchantée) – MOZART : Symphonie n°35 « Haffner » - SCHUBERT : Rosamunde (ouverture), Symphonie n°4 – MENDELSSOHN : Le Songe d’une nuit d’été (extraits) – ROSSINI : Ouvertures – LALO : Symphonie espagnole

Eduard van Beinum, Vol.2 CLASSIQUE - PARU mars 2005 – PHILIPS – 45,99 € BACH : Ouvertures n°1 à 4 - HAENDEL : Water Music – MOZART : Concerto pour flûte et harpe, Sérénade « Posthorn » – BRAHMS : Symphonie n° 1, Variations sur un thème de Haydn, Rhapsodie pour contralto – SCHUBERT : Symphonies n°3, 6, 8 « Inachevée » - DEBUSSY : La Mer, Nocturnes, Images pour orchestre