Petite réflexion personnelle sur le choix de Georges Prêtre comme chef d'orchestre de l'édition 2010 du Concert du Nouvel An, dans la grande Salle Dorée du Musikverein de Vienne.

Pour l’édition 2010, la communauté des musiciens de l’Orchestre Philharmonique de Vienne a invité une nouvelle fois le chef d’orchestre français Georges Prêtre, fin connaisseur de la tradition musicale viennoise. Le chef français dirigea à de nombreuses reprises les orchestres viennois, et fut notamment directeur musical de l’Orchestre Symphonique de Vienne, entre 1986 et 1991. Georges Prêtre se sent proche de la culture viennoise. Il connait parfaitement la musique des Strauss, et demeure peut-être l’un des seuls aujourd’hui à pouvoir assumer l’héritage de soixante-dix ans de Concert du Nouvel An, après les illustres figures du XXe siècle, qui l’ont illustré, de Clemens Kraus à Nikolaus Harnoncourt, en passant par Willi Boskovsky, Lorin Maazel ou Riccardo Muti. Pourtant, dans notre souvenir, l’édition 2008 – la « première fois » du chef français – avait déçu. Elle pâtissait d’un penchant récurrent de Prêtre, que l’on a pu observer à de nombreuses reprises - également dans d'autres répertoires - sa tendance à la lourdeur. Et dans la musique de la Vienne de la fin du XIXe siècle, ce défaut devient insoutenable, dans la mesure où les pages des Strauss ne sont que fragilité, délicatesse, atmosphères raréfiées ou fuligineuses.

Pour cet événement symbolique de leur « saison » musicale, les musiciens des Wiener Philharmoniker invitent en réalité un musicien expérimenté – difficile de battre Prêtre sur ce terrain, avec ses soixante ans de carrière -, et avant tout un artiste capable de ne pas trahir leur tradition. Quelquefois, les Wiener Philharmoniker témoignent d’une curiosité inédite. En 1980, ils invitaient pour la première fois Lorin Maazel, et en 2001, un même désir de renouvellement les avait incité en 2001 à inviter Nikolaus Harnoncourt. De nouvelles pages de leur histoire furent ainsi ouvertes.

Aujourd’hui, ils peinent à trouver des chefs d’orchestre qui ressentent réellement la musique viennoise, ses spécificités, son art de l'indicible, le profond, le poétique en même temps que sa vacuité - tout son charme. Il n’y a peut-être plus de chefs en effet, actuellement dans la soixantaine, du niveau d’illustres aînés comme Herbert von Karajan (1987) ou Carlos Kleiber (1989, 1992). Mariss Jansons ? Riccardo Muti ? Daniel Barenboïm ? Seiji Ozawa ? Zubin Mehta ? Bien que ces chefs-d’orchestre soient très liés à l’Orchestre Philharmonique de Vienne, ils n’ont jamais fait preuve de qualités exceptionnelles lors des Concerts du Nouvel An.

Alors, nos pensées vont vers cette nouvelle génération de jeunes musiciens. Mais les Wiener Philharmoniker ne peuvent pas inviter un jeunot avec lequel ils n’ont jamais travaillé, ou si peu que leur ponctuelle collaboration en devient réduite à néant. Pourtant, sans aucun doute, il y en a, et de bons. Philippe Jordan, un jeune qui connait bien lui aussi la culture viennoise, Vladimir Jurowski. L’un des plus remarquables pour nous serait le chef norvégien Eivind Gullberg Jensen. Il possède cette élégance de chat, ce raffinement naturel, cette souplesse dans les phrasés, qui permettent les plus grandes subtilités. Rendez-vous en 2025 ? D’ici-là, quelles années de souffrance et de labeur !

Place aux jeunes !