Le fondateur de harmonia mundi, figure emblématique du disque français et entrepreneur exceptionnel, est mort à l’âge de 87 ans.

Bernard Coutaz, né le 30 décembre 1922 à Saint-Auban-sur-l'Ouvèze dans la Drôme, est mort d'une crise cardiaque le 26 février.

Il a bâti en un peu plus de cinquante ans une entreprise française culturelle d’exception, dans un domaine pour ainsi dire exotique économiquement, le disque classique. Les activités de harmonia mundi, furent par la suite étendues à d’autres styles musicaux et au livre — à chaque fois avec une réussite remarquable. Si l'on connaît bien aujourd'hui la marque et le distributeur de disques classiques harmonia mundi, on réalise moins que harmonia mundi est l'un des plus importants diffuseurs d'éditeurs de livres en France et de disques français dans le monde.

Comme tous les grands artistes, Coutaz est resté jeune et clairvoyant toujours, pilotant et inspirant sa création depuis son bureau au Mas de Vert à Arles, maintenant malgré tous les bouleversements du métier le cap qui était le sien et surtout, qui lui convenait à lui, à sa vision des choses.

Née en plein développement du microsillon, réinventée au moment du CD, sa maison de disques, devenue le symbole de l’indépendance discographique dans ce qu’elle a de meilleur, à chaque fois a relevé le défi et remporté les succès les moins attendus.

Il fut un chef d’entreprise à la fois très prudent et très audacieux. Sans cette qualité-là, Bernard Coutaz n'aurait certainement pas pu construire, avant que le terme soit utilisé pour désigner n’importe quel margoulin de la web-économie, un « champion français » — mais hm était un un champion bien singulier !

Il faut le savoir, le drapeau de harmonia mundi, qu’il a planté sur tous les continents, parce qu’il propageait de la musique, cet Art universel, ce drapeau est passé là où le reste de la France ne passe pas toujours, mythifiant avec le chic d'un grand couturier une idée prestigieuse du goût français, de la culture française. hm inspire dans le métier à l’international un respect un peu intimidé. Et il n'est pas un label de disques anglo-saxon ayant fait le voyage de Arles, où Bernard Coutaz avait superbement installé hm après Saint-Michel de Provence, qui n'en soit revenu des trémolos dans la voix. Une telle séduction rendait aussi la place des concurrents malaisée, j'en sais quelque chose !

Quand on songe par exemple au succès et à la réputation que hm a acquis aux USA, ouvrant la voie à tant d’autres éditeurs indépendants, imposant son savoir-faire et sa tenue, si l'on ose dire, en terre si étrangère, on réalise à quel point le pari de cet homme fut audacieux, et bien éloigné du statut de simple producteur de beaux disques. Il s'était donné les ailes de ses ambitions.

Une autre marque de disques classiques fut contemporaine de harmonia mundi et de taille longtemps similaire : Erato. On sait ce qu'il en est. Car, de sa génération, Bernard Coutaz fut dans le métier du disque classique celui qui a le mieux réussi, et son exemple d'indépendant devrait bien faire réfléchir aujourd'hui. Certes, hm a produit de beaux disques, et des disques importants. Et a été un acteur essentiel de la propagation de la vague baroque. Mais hm a bâti son succès sur l'indépendance de la distribution, une donnée qui sera demain essentielle, aussi bien dans le numérique.

D'abord auto-distribué, Coutaz se fait ensuite diffuser par la CBS française de la grande époque à la fin des années 60, puis comprend qu'il est absolument nécessaire de marcher avec ses jambes, de construire ce network qui assurera son succès, distribuant à son tour d'autres producteurs, ce qui rentabilisera son réseau et ses frais fixes. Ses boutiques, depuis une vingtaine d'années étaient, plus qu'Internet il est vrai, la solution de son cœur.

Pour protéger son business model, Coutaz se fit longtemps le chantre du CD contre la musique numérique. Mais il ne fallait pas absolument croire ce que disait Bernard Coutaz, ce n'est pas faire offense à sa mémoire que de le dire. Observez comment, toujours pragmatique, hm a été très tôt sur iTunes ! Je me souviens d'une interview de Bernard Coutaz réalisée au début des années 80 aux premiers jours de l'arrivée du CD. « Moi vivant, disait-il, il n'y aura pas de CD chez hm ! ». Ce n'est pas tant le fait qu'il ait changé d'avis qui fut étonnant, mais à cette heure-là, les usines pressaient déjà ses galettes !

Bernard Coutaz a souvent dédaigné, et son entreprise a dédaigné avec lui, pas mal de fanfreluches glorieuses, voire de compétitions ou palmarès risibles, et cette attitude fut également remarquable parce que sans ostentation ni déclarations, juste un peu ironique et parfois cruelle...

L'homme était bien sûr roué, supérieurement intelligent, pesant avec une grande agilité les rapports de force, et cette agilité lui a valu, parti avec très peu de moyens, de ne jamais cesser de progresser.

Que dire d'autre ? Il était un d'homme de son temps, grandi dans les années 50, un homme de culture et comme tout homme de goût, un homme de plaisirs, autant lecteur que mélomane. Il fut éditeur de livres sous la marque Editions Bernard Coutaz et confia à Maurice Fleuret dans les années 80 la direction d'une collection consacrée à la musique. Militant catho de gauche dans sa jeunesse, il avait commencé sa carrière comme journaliste à Témoignage Chrétien, milité du bon côté lors de la Guerre d'Algérie, écrit des romans marqués par cet engagement.

harmonia mundi a un secret, c'est l'éclat et l'efficacité de sa marque. En ce sens, et Coutaz s'en serait peut-être défendu, hm a fait très tôt du très, très excellent marketing, bâtissant cette marque en airain, qui devenait une sorte de vecteur magique recouvrant et protégeant tout ce qu'elle recouvrait.

Pour tout cela, et avant tout pour tout ce bonheur que harmonia mundi a procuré à tant d'amateurs de musique, cette communauté d'amateurs qui débuta pour ainsi dire comme une coopérative d'amoureux de a musique, on lui adresse ici un affectueux et très admiratif salut. Bernard Coutaz laisse un splendide ouvrage.

-Y.R.