Le Duc d'Albe ne laissa pas aux Pays-Bas espagnols de très bons souvenirs : tribunaux d'exception connus sous le nom de Conseil du sang, massacres en tout genre, répression féroce... Donizetti lui consacra un opéra inachevé dont voici, dans une belle version chantée dans le français d'origine, le premier enregistrement tout beau tout neuf revenant à la partition pure, sans aucun ajout

Si Le Duc d’Albe de Donizetti ne fait pas partie du grand répertoire lyrique de toutes les scènes mondiales qui se respectent, ce n’est certes pas par manque d’intérêt de la partition : le compositeur y a consacré quelques-unes de ses pages les plus inspirées. Non, non : c’est tout simplement que l’opéra est resté inachevé, seuls les deux premiers actes étant terminés et orchestrés. Mais si le travail de composition commença en 1838, commande de l’Opéra de Paris, il advint qu’en 1840 arriva un nouveau directeur – qui cherche avant tout à placer sa maîtresse, la féroce mezzo Rosine Stolz (notons que, de nos jours, heureusement, plus aucun directeur ou aucune directrice d’opéra en France ne cherche mordicus à placer sa maîtresse ou son petit copain aux premiers rôles, à la baguette ou à la mise en scène ; ouf, l’honneur est sauf…). Or, cette brave dame n’aime pas Le Duc d’Albe : le premier rôle est masculin, et le rôle principal féminin n’est pas adapté à sa tessiture. Pire, il risquerait alors d’échoir à sa détestée rivale ; bref, l’opéra finit aux oubliettes et quand Stolz est enfin écartée – voix abîmée, public et monde musical lassé de tant de jalousies –, Donizetti est mort. Il ne reste donc, achevés, que les deux premiers actes, ainsi que de larges esquisses pour les deux derniers. Rideau...

Or, en 1882, les héritiers du compositeur - soutenus par Ponchielli entre autres - réussissent à persuader un de ses anciens élèves, Matteo Salvi, de terminer l’œuvre d’après les esquisses ; mais avec moult transformations formelles, réorchestration lourde et surtout des ajouts musicaux qui s’approchent plus de Ponchielli que du doux Donizetti. En plus, la chose est traduite en italien alors que l’original est, bien naturellement, en français puisque conçu pour l'Opéra de Paris. Ce nouvel enregistrement réalisé par Opera Rara avec une belle brochette de chanteurs internationaux se limite à l’original donizettien, les deux actes qu’il a terminés lui-même sans la moindre modification, chantés en français comme il se doit. Les aficionados reconnaîtront sans doute quelques passages ultérieurement recyclés dans d’autres opéras… Une magnifique redécouverte.