L'exercice, avant de donner le tournis, remet quelques pendules de la postérité à l’heure. Typique de ce genre de comparaisons, on voit de grands noms s’effondrer ou passer à côté du sujet, tricher de manière lamentable ou noyer dans la pédale ; des inconnus, par ailleurs, semblent vouloir forcer le destin et lui lancer un défi — hélas, le disque classique de nos jours n’est plus un terrain de jeu pour l’exploit : on ne s’y fait plus un nom, même par la prouesse. On s'interroge soudain sur la vie difficile de tous ces pianistes pour qui laisser une version discographique des Etudes de Chopin, c’est un peu comme ce que les critiques gastronomiques bidons appellent aujourd’hui pour un chef : "créer un plat-signature ».
Cette Etude, Op.10 n°1, de surcroît, ils sont nombreux à l'esquiver, à la redouter. Elle n’est pas la plus enregistrée de toutes. En général, les Etudes, Op. 25 sont davantage représentées dans la discographie. Et de très grands noms ne s’y sont pas risqués. La version de Cziffra n’est pas encore disponible en numérique et c’est une grosse pièce qui manque ici ; mais Guilels, Argerich, Rubinstein, Horowitz semblent avoir évité notre défi, ou alors ils n’aimaient pas l’œuvre... Il faut dire qu’elle n’est pas de celle qu’on isole facilement dans un récital : elle ouvre un discours et ne le ferme pas. À une époque où les intégrales n’étaient pas une monnaie aussi dévalorisée qu’aujourd’hui, on pouvait laisser un héritage sans cette pièce d’or.
Pour beaucoup de nos candidats, il semble qu'avoir livré sa version comporte une sorte de vanité à laquelle on a succombé, et parfois au sens propre... il faudra que vous en jugiez par vous-même. Soyez bon joueur, lancez la musique et ne regardez pas sur votre ordinateur ou votre application qui joue. Il y a 67 versions et un bonus, cela donne 68 plages. La 66e est mignonne, vous verrez. On s’est amusés à tout mélanger pour brouiller les pistes. Amusez-vous bien à votre tour !
Signé : Votre vieille tante Hannah