A Lucerne, la hauteur de la musique n'a d'égale que celles des sommets qui entourent la ville et son lac ; c'est même probablement l'endroit de la plus haute exigence artistique. Né en 1938, sous l'impulsion du chef-d'orchestre Ernest Ansermet qui souhaitait donner du travail aux musiciens de son Orchestre de la Suisse Romande durant l'été, le Festival de Lucerne a, si l'on peut dire, bénéficié dès le début de la conjoncture politique de l'Europe à la suite de l'annexion de l'Autriche par Adolf Hitler. Le premier festival aligne, en 1938, des noms absolument prestigieux fuyant Salzbourg et son régime dorénavant nazi. L'affiche fait rêver : Ernest Ansermet, Adrian Boult, Fritz Busch, Arturo Toscanini, Bruno Walter, le Quatuor Busch ou encore Pablo Casals. L'illustre Toscanini donne aussitôt une aura mondiale au Festival en dirigeant une sérénade en plein air, à Tribschen, devant la villa où Wagner a vécu durant 6 ans. La guerre va ralentir les activités du Festival qui repartira de plus belle à la fin du conflit en accueillant les plus grands artistes européens qui se succèdent sans relâche. Parmi les habitués, on notera Wilhelm Furtwängler qui y conduira 22 concerts, Herbert von Karajan qui y dirigera son premier concert d'après-guerre à l'étranger et qui restera longtemps fidèle à la manifestation lucernoise avant de lui tourner le dos. Rachmaninov joue le Premier Concerto de Beethoven sous la direction d'Ansermet, en 1939. Le compositeur connait bien Lucerne puisqu'il y a fait construire une somptueuse villa sur un terrain jouxtant la maison de Wagner (photo ci-dessous : Rachmaninov et Ansermet à Lucerne). C'est à Lucerne qu'Anne-Sophie Mutter fera ses débuts en 1976 sous la direction de Karajan, dont elle se souvient avec reconnaissance aujourd'hui encore.

Mais si l'âme des grands anciens flotte encore au dessus du lac des Quatre-Cantons, le Festival d'aujourd'hui est très prospère grâce aux différents sponsors qui le financent et à la direction artistique avisée de Michael Haefliger. Le fils du grand ténor suisse Ernst Haefliger, qui a étudié le violon avec Ivan Galamian à la Juilliard School de New York avant de suivre le cursus de Manager de l'Université de Harvard, a su maintenir le niveau exceptionnel du Festival en invitant les plus grands orchestres et les meilleurs musiciens de la planète classique et en lui donnant une nouvelle impulsion par la création, d'une part, à la demande de Claudio Abbado, du fabuleux et éphémère Orchestre du Festival, formé des meilleurs musiciens du monde (le Quatuor Alban Berg et le Quatuor Hagen font partie du pupitre des cordes et les chefs de pupitre proviennent des grands orchestres européens) et, d'autre part, en dotant le festival d'une Académie de musique contemporaine dirigée par Pierre Boulez jusqu'à l'année dernière. C'est grâce à une politique de commande et de création d'oeuvres nouvelles qu'une partition comme Nähe fern de Wolfgang Rihm a pu voir le jour et être enregistrée.

Vous pourrez écouter sur votre Qobuz de larges échos de ce Festival pas comme les autres, depuis les enregistrements d'archives qui commencent à être commercialisés avec soin (Stern, Haskil, Menuhin, Furtwängler) et des enregistrements particulièrement marquant de ces dernières années, comme les Symphonies de Mahler sous la direction d'Abbado (en DVD et en CD), une très belle version de Fidelio de Beethoven sous la direction du même chef charismatique qui est actuellement l'âme du Festival de Lucerne (photo ci-dessus). Ce même Abbado qui nous a offert une version absolument mémorable de La Mer de Debussy, d'une poésie ineffable aux multiples irisations.

Un des atouts de Lucerne est aussi sa nouvelle salle de concerts construite par Jean Nouvel, le Palais de la culture et des congrès, inaugurée en 1999, d'une esthétique très réussie, à l'acoustique généreuse et précise. Lorsqu'on demande à Michael Haefliger sa vision d'avenir pour le Festival de Lucerne, il répond avec philosophie : Carpe diem, savourons le moment présent, il sera toujours temps de s'occuper de la suite. Des moments présents qui sont intensément vécus par les musiciens comme par le public et les enregistrements sont là pour nous les faire partager ; la musique devenant un message de civilisation et d'humanisme quasi spirituel.

Classique : François Hudry 30/08/13 par qobuz.com