Même si François Sagan avouait avoir choisi ce titre pour des raisons purement phonétiques ("Aimez-vous Mendelssohn c'est trop long", disait-elle et "Aimez-vous Mozart c'est évident"...), la question méritait d'être posée en 1959, à l'époque où la jeune romancière de 25 ans publiait son deuxième roman, car la musique de Brahms a en effet mis de nombreuses années pour s'imposer en France, même si c'est un Français, Hector Berlioz, qui avait décelé le génie du jeune compositeur allemand. Mais le bouillant Hector, mort en 1869, n'a pas pu connaître les oeuvres de la maturité et on ne sait pas du tout ce qu'il en aurait pensé. Pendant des années, la critique française a jugé la musique de Brahms peu compatible avec le génie latin. Pour un critique pourtant aussi avisé que Paul Dukas, Brahms est "souvent ingénieux, souvent intéressant, jamais émouvant ni poignant." Même Romain Rolland, pourtant si épris de culture allemande, accuse Brahms de pédantisme, et sa musique d'être guindée. Paul Landormy le trouvait "honnête et ennuyeux" ce qui fait écho au mot malheureux de Debussy à propos de Mendelssohn qu'il traitait de "notaire élégant et facile". Darius Milhaud était au même diapason en affirmant que la musique de Brahms lui échappait : "J'y constate une fausse grandeur qui s'étire, une fausse sensibilité qui larmoie, d'immenses rabâchages dans les développements qui m'assomment." Et Francis Poulenc de reprendre à l'unisson la même chanson : "C'est un génie qui me laisse totalement indifférent. C'est trop lourd, et c'est trop long !" Ainsi va notre pays, si souvent avide de bons mots et passant à côté des vrais valeurs. Est-ce vraiment si difficile de concilier l'âme allemande et l'esprit français à l'heure où on essaie si désespérément de faire l'Europe ? Non bien sûr, car le temps a passé ; Brahms est aujourd'hui unanimement apprécié dans tout l'hexagone. Il fallait probablement du temps pour oublier cette animosité, alimentée par l'incompréhension de l'autre et par deux guerres mondiales fratricides.

Qu'il s'agisse de sa musique de piano, sa musique de chambre ou de son univers symphonique, la musique de Brahms arrive dans le peloton de tête des programmes de concerts et des enregistrements discographiques. A l'heure où Deutsche Grammophon publie une nouvelle intégrale des Symphonies avec l'Orchestre de la Staatskapelle de Dresde sous la direction de Christian Thilemann, penchons-nous sur quelques enregistrements incontournables pour nous et qui sont le fruit d'un choix purement subjectif et clairement revendiqué comme tel. Vous pourrez les retrouver (presque) tous sur votre QOBUZ.

Parmi les grandes versions isolées, il faut absolument connaître l'enregistrement de la Première Symphonie sous la direction de Eduard van Beinum (photo ci-dessus), à la tête du Concertgebouw d'Amsterdam. Une vision incandescente réalisée à l'orée de la stéréophonie. En 1976, Eugen Jochum (qui avait déjà gravé une splendide intégrale monophonique à Berlin au début des années cinquante) réenregistre, à Londres, cette première Symphonie (et les trois autres) d'une énergie inouïe et sous-tendue par une expression ardente.

Le chant éperdu du début de la Deuxième symphonie trouve en Claudio Abbado un chef idéal, dès son premier enregistrement de 1971 à Berlin. George Szell a laissé une intégrale remarquable, en particulier de la Troisième Symphonie à laquelle il imprime une vigueur et une élasticité d'où le rêve et la poésie ne sont nullement exclus. La Quatrième Symphonie dirigée par Carlos Kleiber reste un très grand moment de musique avec son mélange d'élégance, de gravité et ce bonheur de faire de la musique qui se répand dans tous les pupitres de l'orchestre grâce à des musiciens conquis.

Côté intégrales, on ne manque pas de choix et on aura fort à faire pour écouter soigneusement celles de Weingartner (qui avait dirigé devant Brahms dans sa jeunesse !), Toscanini à Londres ou de Bruno Walter à New-York pour les très anciens, Kertesz (magnifique !), Szell pour les anciens, Abbado (lumineux, élégant et grave), Haitink, Berglund (passionnant avec un effectif réduit et la beauté de l'Orchestre de Chambre d'Europe) pour les récents, Chailly, Harnoncourt, van Zweden, Skrowaczewski ou Saraste pour les contemporains, sans oublier l'objet de cet article, la nouvelle intégrale de Christian Thielemann (photo ci-dessus) dont les atouts sont très nombreux.

De quoi passer l'hiver en bonne compagnie...