Une série de 17 concerts consacrés à Chostakovitch émaillera la saison de l’Auditorium de l’Orchestre National de Lyon, de la musique de chambre aux ciné-concerts du Cuirassée Potemkine, en passant par les symphonies et les concertos.

Le cycle Chostakovitch à l'Auditorium de l’Orchestre National de Lyon aura quelques temps forts, avec notamment la Huitième Symphonie dirigé par Joseph Pons, et la pianiste Olga Kern dans le Premier Concerto, dirigé par Leonard Slatkin. A noter également la venue de l’Orchestre du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg, avec son charismatique directeur musical Valeri Guerguiev. Un beau parcours qui offre une lecture des grands bouleversements de l’histoire russe par son chantre le plus fidèle.

A l’heure de la grande exposition de la Cité de la Musique (Lénine, Staline et la musique), l’Auditorium de l’ONL propose lui aussi un portrait en musique de Chostakovitch. De la révolte de 1905 à l’URSS post-stalinienne, Chostakovitch commente l'histoire de son pays, dans un jeu de cache-cache avec la censure. Derrière le patriotisme et la propagande exigés par le pouvoir perce toujours, plus ou moins amère, l'ironie du compositeur.

Le premier moment du cycle se déroule le week-end du 10 et 11 mars, avec Olga Kern dans l’éclat du concert symphonique (Concerto pour piano n°1), puis dans l’intimité du Trio pour piano et cordes n°2, op. 67, avec les solistes de l’ONL. Créé le 15 octobre 1933 à Leningrad, le Concerto pour piano n°1 avait de quoi suprendre ses contemporains. Allusions à Haydn, brusques changements d’humeur, passage de l’exubérance et du grotesque à des motifs militaires : l’œuvre affichait un humour explosif, servi par le dialogue entre le piano et la trompette solo. Les fluctuations de tempo ne sont pas sans évoquer les comédies du cinéma muet, bientôt supplanté par le parlant. L’œuvre offre un contraste saisissant avec la symphonie Eroica de Beethoven à laquelle elle est associé dans le même concert.

Le Trio pour piano et cordes est quant à lui mis en parallèle avec la Sonate pour violon et piano de Frank, œuvre derrière laquelle se cacherait la fameuse Sonate de Vinteuil qui a inspiré à Proust parmi ses plus belles pages. Olga Kern, directement lié par sa famille à Rachmaninov et Tchaïkovski, s’imposait comme l’interprète idéale pour ces concerts russes.

Le dimanche 11 mars, l’Auditorium de l’ONL recevra l’Orchestre du Théâtre Mariinski de Saint-Petersbourg, désigné par Gramophone Magazine comme faisant partie des vingt meilleurs orchestres du monde. Il est dirigé par Valeri Guerguiev depuis 1988, nommé « artiste de l’année » par Classica, et qui dirigera la Symphonie n°12 op. 112, dite « L’année 1917 ». Pour sa première venue à Lyon, l’orchestre ne pouvait manquer de présenter une symphonie de Chostakovitch, natif de Saint-Pétersbourg et resté très attaché à la ville. La Douzième Symphonie (1961), hommage à la révolution d’Octobre, est une des plus épiques parmi les quinze qu’il ait composées. En contrepoint de cette oeuvre, un autre clin d’œil au cinéma, avec la Cinquième Symphonie de Mahler, reprise par Visconti dans Mort à Venise.

Deuxième moment clé du « parcours Chostakovitch », les 29 et 31 mars, une symphonie de guerre, la Symphonie n°8 avec Josep Pons à la direction. Composée durant l'été 1943, juste après la bataille de Stalingrad, alors que la contre-offensive allemande fait rage à la bataille de Koursk, l’œuvre résonne bien au-delà de la « grande guerre patriotique » qu’elle dépeint, laissant filtrer une interrogation inquiète. A cet égard, il n’est pas anodin qu’elle ait été, plus que toute autre œuvre, la cible de la censure soviétique. Chostakovitch y donne libre cours à la peinture de l’horreur qui sévit dans une Russie dévastée. Elle est reconnue comme un des sommets de la production de Chostakovitch. Comme la Septième symphonie « Leningrad », la Huitième est une symphonie de guerre, mais l’exigence de l’écriture la place au-dessus de cette dernière. Son immense premier mouvement, de forme sonate, dont l’orchestration restitue une brutalité extrême, dépeint un affrontement impitoyable, jusqu’à ce que le cor anglais livre un récitatif inaugurant un nouveau thème. Le troisième mouvement, dans son dépouillement, dessine un paysage sinistre, et semble figurer des hurlements impuissants face à la marche implacable du mal. Le quatrième mouvement marque un moment de répit dans une quête spirituelle rédemptrice, et semble indiquer prudemment une issue possible.

Le mois d’avril mettra en parallèle, plus explicitement encore, les bouleversements de l’histoire russe avec la musique de son plus fidèle narrateur. L’ONL, dirigé par Frank Strobel jouera lors d’un ciné-concert, le 5 et 7 avril, la musique du film d’Eisenstein, commande du régime de 1925. Elle accompagnera la mutinerie des matelots du Potemkine. Alors que la révolte fait tache d’huile et gagne bientôt la ville d’Odessa, les représailles tsaristes ne se font pas attendre et déciment la population -bain de sang immortalisé dans la scène du massacre de l’escalier d’Odessa. Hymne à la gloire du peuple russe, ces images trouvent dans la musique de Chostakovitch leur meilleur commentaire.

La fin du mois d’avril n’est pas en reste, avec le Concerto pour violoncelle n°1, op. 107 interprété par Sol Gabeta, jeune violoncelliste franco-argentine à la carrière déjà impressionnante, dont Leonard Slatkin a fait l’une de ses partenaires favorites. Composée en 1959, dédié à Mstislav Rostropovitch, l’œuvre reprend dans son finale une mélodie qu’affectionnait Staline, mais à laquelle il donne une tonalité sinistre et ironique, exprimant toute sa rancœur au souvenir des persécuptions perpétrées par Staline à son égard. Le premier thème, tout aussi grinçant, inspirera l’année suivante le célèbre Huitième Quator à Cordes.

A noter enfin la venue de Gautier Capuçon, fin mai, dans la Symphonie n°1 en fa mineur, et la clôture du « parcours » par la Symphonie n°9 en ré mineur, fin juin.

Le site de l'Auditorium de l'ONL