Le chant de l’ange Chet pas tout à fait déchu. Celui, lyrique à souhait, de son aficionado transalpin, Enrico, au sommet de sa poésie pianistique… De cette rencontre entre le trompettiste aux prises avec sa propre légende et le jeune pianiste en pleine construction naitra un superbe disque oublié de 1980 à la mélancolie virginale.

La sensation d’essentiel, de rareté même, ne se ramasse pas tous les jours à la pelle… Soft Journey est de ces albums qui dégagent une telle impression… Pourtant cet opus né de deux séances de décembre 1979 et janvier 1980, figure rarement dans les panthéons jazz et autres discothèque idéale. Fruit d’une vraie rencontre humaine et musicale entre le trompettiste américain Chet Baker et le pianiste italien Enrico Pieranunzi, ce disque allie mélancolie virginale et swing en apesanteur.

D’un côté le fan. De l’autre la star, pas tout à fait déchue… C’est le pianiste transalpin qui est à l’origine de ses séances romaines. Lui le fanatique de Chet Baker qui sifflait sa musique tout petit déjà… Lui l’apprenti en mélodie extrême, tout juste trentenaire, pianiste impressionniste digne héritier de Bill Evans, foudroyé par les failles humaines et la sensibilité harmonique du trompettiste à la belle gueule cassée…

Pour l’occasion, le saxophoniste ténor Maurizio Giammarco, le batteur Roberto Gatto et le contrebassiste Riccardo Del Fra (qui jouera dans le superbe trio final de Chet avec Michel Graillier) sont convoqués pour mettre en boite six thèmes de toute beauté, entre compositions originales et standard. Quatre de ses compositions sont d’ailleurs signées Pieranunzi. Sur la plus belle d’entre elles, Night Bird, impossible de ne pas penser à la tragédie quasi-christique et personnelle de Chet Baker. Ce dernier jouera d’ailleurs régulièrement sur scène, bien après ces séances et ce jusqu’à la fin de ses jours en 1988, ce thème simplement parfait. Comme un improbable chant du cygne aux facettes différemment colorées mais à l’unité parfaite.

Soft Journey ne se contente guère de n’être qu’un album recueilli. Sur un thème comme Brown Cat Dance, il abat une carte hard bop assumée, au groove félin et racé. Durant presque huit minutes, le swing devient la pierre angulaire d’une passionnante conversation à cinq qui pourrait durer jusqu’au bout de la nuit romaine…

Lorsque ce Soft Journey, ce doux voyage, touche au profond, il n’est jamais pesant. Quand il caresse le swing, il n’est jamais vulgaire ou même simplement facile. Sur le standard des standards My Funny Valentine que la voix de Chet Baker a dompté en de nombreuses reprises, les deux hommes sont seul à seul. Sans rythmique ni vent. Juste une voix. Un piano. Une trompette. Dix minutes de sublime. Et surtout, cette sensation d’essentiel, de rareté même évoquée plus haut…

Le site officiel d’Enrico Pieranunzi