Un grand vent de nostalgie semble souffler sur la création musicale en ce début de siècle. La musique contemporaine aurait-elle manqué son rendez-vous avec le public en devenant trop absconse ? En tout état de cause, on peut constater que certains compositeurs sont totalement décomplexés, pour paraphraser le langage politique à la mode, et écrivent aujourd'hui une musique délibérément tournée vers le passé. En regardant les publications discographiques de ces dernières semaines, il semble bien que cette tendance s'affirme. Prenez par exemple cet album consacré à des compositions de l'excellent pianiste français Jérôme Ducros qui vient tout juste de paraître chez DECCA. Intitulé Jérôme Ducros En aparté, il présente son Quintette avec piano et son Trio pour piano, violon et violoncelle. L'étonnement est à son comble en l'écoutant attentivement puisque cette musique, fort bien écrite au demeurant, reprend exactement le langage qui était celui de la fin du... XIXème siècle ! Une musique qui fait donc l'impasse de l'histoire en gommant cent ans de création musicale, feignant d'ignorer les bouleversements qui ont vu la fin de l'écriture tonale, l'explosion des formes et des instrumentariums. En utilisant les procédés d'écriture de Brahms, Fauré, Chausson c'est faire comme si Schönberg, Berg, Stravinsky, Messiaen et Boulez n'avaient jamais existé. On peut certes juger par le mépris ce geste créateur en le traitant de passéiste, mais on peut aussi s'interroger, et s'amuser à la fois, de cette évidente recherche de plaisir que propose cette nouvelle musique d'autrefois. Une notion que l'on ne rencontre pas souvent, c'est un euphémisme, dans la musique d'aujourd'hui. Les extraordinaires interprètes de ces deux oeuvres, Jérôme Ducros et ses amis, Jérôme Pernoo, Gérard Caussé, Sergey Malov et Mi-Sa Yang se lancent à corps perdu dans cette musique en se vautrant dans un romantisme éperdu qui fait plaisir à entendre, même s'il parait absolument décalé.

Mais cet Ovni totalement déroutant n'est pas isolé ; le dernier disque consacré à des oeuvres de Wolfgang Rihm va dans le même sens. Fort d'un catalogue de plus de 400 oeuvres, le compositeur allemand (né en 1952) avoue aimer Brahms de plus en plus. S'inscrivant dans une tradition qui va de Monteverdi à Schönberg, Rihm entame ici un dialogue avec les 4 Symphonies de Brahms présentées dans le cadre du Festival de Lucerne en 2011 et 2012. Avec les 4 Pièces Nähe fern (Proximité lointaine), enregistrées par HARMONIA MUNDI, Rihm avoue son désir de former quelque chose qui me soit propre, qui reprenne le fil d'une conversation et continue à l'entretenir.

A propos de son dernier récital, paru chez MIRARE, le pianiste-compositeur Jean-Frédéric Neuburger s'explique : Si les années 1950 furent celles de la "table rase" dans la pensée musicale, tout du moins en France et dans une bonne partie de l'Europe, écrit-il, il est de plus en plus clair que les années 2000 sont celles de la synthèse. Dans Maldoror, une pièce composée en 2010, librement inspiré par l'univers poétique et subversif de Lautréamont, Neuburger déclare les influences pêle-mêle de Stockhausen, de Xenakis en ce qui concerne l'éclatement du piano par endroits, et probablement même du Schumann des Phantasiestücke.

Les oeuvres de Karol Beffa réunies chez TRITON sous le titre Masques exploitent aussi cette voie. Dans Les Ombres qui passent, pour violon, alto et piano c'est tout un univers poétique et nocturne que l'on entend. Ces ombres sont celles des maîtres du début du XXème siècle qui semblent venir questionner le jeune compositeur français.

On pourrait évidemment multiplier les exemples dans le monde entier. Mais toute la question est de savoir si le conservatisme de cette nouvelle école de compositeurs est une des voies nouvelles de la création musicale qui va ringardiser Pierre Boulez et les tenants de l'Ecole de Darmstadt ou si c'est seulement un épiphénomène dans une époque qui a du mal a trouver ses marques sous le poids de l'histoire ?