Du 25 septembre au 10 octobre, Musica proposera sa 31e édition. Directeur général du grand festival strasbourgeois dédié à la musique contemporaine, Jean-Dominique Marco présente cette cuvée 2014.

Chaque année, Musica est l’événement majeur de la musique contemporaine. L’édition 2014 du grand festival strasbourgeois, qui se déroulera du 25 septembre au 10 octobre, programme un large choix de créations musicales confrontées au répertoire d’œuvres considérées comme emblématiques des évolutions esthétiques qui ont marqué le XXe siècle. Directeur général de Musica, Jean-Dominique Marco présente les temps forts de ce cru 2014 qui proposera une quarantaine de rendez-vous autour d’une cinquantaine de compositeurs !

Est-ce essentiel pour Musica de concevoir la musique contemporaine à travers plusieurs générations de compositeurs, de Ligeti aux étudiants de Manoury en passant par Dusapin et Manoury ?

Jean-Dominique Marco : Le festival Musica a pour objectif de présenter les œuvres emblématiques des compositeurs qui ont participé aux grandes évolutions esthétiques de la musique “dite savante” au XXe siècle, notamment celles de la seconde moitié de ce siècle et de confronter ce répertoire à la jeune création aujourd’hui. Il n’est donc pas rare de pouvoir réécouter à Musica des œuvres de Debussy, Schoenberg, Berg et Webern, d’Edgar Varèse et évidemment de Xenakis, Boulez, Berio, Stockhausen et de bien d’autres encore. Il est important de donner aux auditeurs ces repères historiques en leur montrant comment, progressivement, nous en sommes arrivés aux expressions musicales actuelles. Il est aussi intéressant de suivre certains compositeurs dans leur propre évolution, dans leur cheminement artistique. Ainsi, peut-on constater par exemple que Manoury, Dusapin ou Rihm ne composent plus aujourd’hui comme ils le faisaient dans les années 80. Le public du festival, tel qu’il s’est formé au cours de ces 32 années d’existence de Musica, aime à la fois ces repères et ces découvertes. Il affectionne de suivre les compositeurs qu’il a découverts alors qu’ils étaient encore considérés comme de jeunes compositeurs. Par ces démarches, il est encore utile d’initier les nouveaux spectateurs, ceux qui viennent se plonger pour la première fois dans nos univers musicaux. Ceux-là, encore plus que les autres, nous réclament ces repères. Par ailleurs, il faut préciser que Musica n’a jamais été entièrement dédié à la création, alignant les œuvres nouvelles les unes derrière les autres comme le font certains festivals en Europe. Nous avons toujours voulu nous adresser à un public le plus large possible faisant appel au principe de curiosité. Pour cela, nous avons un devoir de pédagogie à son égard. Les repères permettent cela ainsi que l’ouverture aux autres expressions musicales comme par exemple le répertoire classique, le jazz, voire même les musiques actuelles.

Quels sont les grands axes de la programmation de cette 31e édition de Musica ?

Musica cultive des univers musicaux qui se rejoignent dans une même envie de bousculer les codes et les conventions tout en satisfaisant cet irrésistible besoin d’aller au-delà des limites, vers de nouveaux espaces sonores et visuels. Musica 2014, c’est en quelques chiffres 43 rendez-vous, 72 œuvres de 55 compositeurs dont 26 créations mondiales et françaises, 5 concerts d’orchestres, 13 ensembles vocaux et instrumentaux, 7 concerts de musique de chambre et récitals, 8 spectacles, 1 ciné concert, deux jours de colloque universitaire sur le thème de la transformation de la musique en temps réel et enfin 4 master-classes animées par Philippe Manoury avec des compositeurs reconnus (Lindberg, Cendo, Jarrell et Filidei). Nous mettons particulièrement en avant deux jeunes compositeurs, Ondrej Adamek avec deux pièces pour orchestre en création française, et Philipp Maintz avec la création d’un concerto pour piano et orchestre. Mentionnons encore parmi les jeunes artistes Claire-Mélanie Sinnhuber qui crée ici son spectacle Mitsou. Philippe Manoury déploie ses talents de pédagogue et nous donne à entendre les créations de certains compositeurs de sa classe au Conservatoire de Strasbourg et initie de jeunes adultes à la méthode Percustra qui permet de suivre une partition sans pour autant connaître le solfège. Il anime également un grand colloque universitaire sur la problématique de la transformation de la musique en temps réel. Les références au passé ne manquent pour autant car vous trouverez aux côtés de nos compositeurs vivants, Josquin Desprez, Bach, Liszt, Ravel, Fauré, Bartók et Berg. Musica cultive aussi ses liens avec d’autres musiques. Ainsi en est-il du jazz avec sa rencontre avec Jazzdor autour du tentet de Joëlle Léandre et de l’hommage que Musica rend à Lulu, femme extraordinaire, archétype de la femme fatale, issue de l’imagination de Wedekind et qui enflamma simultanément celles de Pabst et de Berg. Bien d’autres liens se tissent à travers la programmation de Musica qui offre au spectateur, l’espace d’une quinzaine de jours, un parcours à multiples entrées pour les connaisseurs comme pour les néophytes qui souhaitent s‘initier aux musiques inouïes.

L'affiche de Musica 2014 – © Eka Sharashidze

Pourquoi mettre l’accent cette année sur les rencontres théâtrales, littéraires et musicales dans lesquelles résonneront des écrits de Rilke, Beckett, Ndiaye, Quignard ou bien encore Koltès ?

Je crois qu’il est important d’explorer les différentes rencontres scéniques possibles entre la musique contemporaine et les autres arts, la littérature en particulier. Cette voie a été ouverte depuis longtemps par des compositeurs tels que Mauricio Kagel, Georges Aperghis, Heiner Goebbels, Marc Monnet et bien d’autres encore. Comment trouver une alternative à la forme classique de l’opéra, tel fut l’un des enjeux du théâtre musical des années 70 et 80. Aujourd’hui encore, on constate que beaucoup de compositeurs recherchent par des voies très diverses, souvent expérimentales, les moyens de rendre cette rencontre plus pertinente et plus affranchie des codes de l’opéra du XIXe siècle. Cette année, Musica rend compte dans leur diversité de ces rencontres possibles à travers des monodrames (Te craindre en ton absence et La Haine de la musique) un opéra-film (Mitsou), un duo intimiste entre deux femmes (Un temps bis), un opéra contemporain (Quai Ouest produit par l’Opéra du Rhin).

Comment expliquer chaque année le succès de Musica et cette image élitiste et groupusculaire qui colle toujours à la musique contemporaine ?

Lorsque Jack Lang et son directeur de la musique Maurice Fleuret décidèrent en 1982 de créer un nouveau festival dédié à la musique contemporaine, ils pensèrent que Strasbourg était la ville idéale en raison du très grand intérêt des Alsaciens pour la musique en général. Imprégnés de culture rhénane, les Alsaciens aiment profondément la musique et ne la considèrent pas que comme un art d’agrément. Elle est certes pour eux source de plaisir mais aussi de réflexion et il n’est pas rare que ses expressions les plus contemporaines suscitent ici plus d’intérêt et de curiosité qu’ailleurs. La vie musicale dans la région est importante et particulièrement à Strasbourg où vous avez un grand opéra et un orchestre philharmonique. Il y a aussi eu, par le passé, un festival de musique classique, l’un des plus anciens en France, qui aura accueilli nombre de grands compositeurs du début du XXe siècle pour donner leur création. La naissance, il y a cinquante ans, des Percussions de Strasbourg a permis dès les années 60 une grande sensibilisation des publics aux nouvelles formes musicales. Il y a même eu un orchestre de radio jusqu’en 1972 dont l’une des missions, à l’instar des orchestres de radios allemandes, consistait à jouer des œuvres nouvelles. Dans ce contexte, Musica a pu trouver dès le départ en 1983 un public cultivé, nombreux et curieux, prêt à suivre l’aventure de la création musicale. Le large succès de la manifestation tient peut-être aussi à la façon dont nous partons à la conquête des publics en évitant de rentrer d’emblée dans un discours musicologique complexe mais en insistant sur le côté ludique, ouvert et peu institutionnel du festival. Nous insistons beaucoup sur la seule qualité que nous demandons à nos spectateurs: une curiosité insatiable et un goût certain pour ce qui est hors norme et ce qui dérange les habitudes musicales dans lesquelles nous sommes plongés à longueur d’année par le matraquage médiatique. L’image d’élitisme dont on affuble les compositeurs que nous défendons ne me m’effraie pas. L’histoire regorge de « procès en sorcellerie » faits à ceux qui ne suivaient pas les canons de l’ordre social, moral ou religieux. Pour avoir souvent eu des idées nouvelles, pour avoir initié de nouveaux modes de pensées, pour avoir eu des intuitions artistiques géniales ou simplement des connaissances supérieures aux autres, beaucoup ont été écartés, voire persécutés, car ils troublaient l’ordre des idées bien établies. Je continue à espérer que notre civilisation est aujourd’hui capable de reconnaître la nécessité d’avoir en son sein des visionnaires, des guetteurs d‘avenir, des artistes qui reculent sans cesse le champ des possibles grâce à leur audace et leur talent. Mais il y a des moments, il est vrai, où je deviens un peu pessimiste !

A titre personnel et même si le choix est sans doute cornélien, quels sont les concerts que vous attendez le plus ?

Le choix que vous me demandez est cruel pour celui qui a construit patiemment la programmation. Néanmoins, je dirais que j’attends beaucoup des créations. Je suis impatient de découvrir les œuvres nouvelles de D’Adamo, Dufourt, Dusapin, Fujikura, Jarrell, Lenot, Maintz, Manoury ou encore de Claire-Mélanie Sinnhuber. Je me réjouis d’entendre pour la première fois à Musica Jean-Frédéric Neuburger, le Quatuor Tana et l’Orchestre de Bamberg. Je suis heureux de retrouver des compositeurs de la génération montante que nous suivons avec intérêt depuis quelques années comme Cendo, Parra et Filidei. Je m’arrête là sinon je vais vous décrire à nouveau tout le festival !

Retrouvez le programme de Musica 2014 sur le site du festival