Le jeune prodige français du piano propose une sublime intégrale Fauré à l’occasion du centenaire de la mort du compositeur.

Année Fauré oblige (on commémorera le centenaire du décès du compositeur en novembre), le pianiste Lucas Debargue a pris quelques mois d’avance et publie en ce printemps chez Sony Classical une imposante intégrale de son œuvre pour piano seul. Un projet ambitieux qui offre aux mélomanes d’explorer minutieusement la complexité de deux esprits majeurs : Gabriel Fauré et Lucas Debargue. Cette somme permet de rendre compte de l’évolution musicale du compositeur français (1845-1924), passant d’une influence mendelssohnienne, encore perceptible dans les Romances sans parole Op.17, à une esthétique ancrée dans le XXe siècle (Nocturne 12 Op.107), et transitant par d’autres phases romantiques ou impressionnistes. Architecte du son, orfèvre du geste, Lucas Debargue connaît son premier « choc Fauré » avec les Neuf Préludes Op.103, et se plonge à corps perdu dans un répertoire que le jeune pianiste décrit comme de « douces mélancolies et d’harmonieuses sophistications ».

Il faudra se plonger avec bonheur dans le livret qui accompagne cette intégrale Fauré, la première depuis une vingtaine d’années. Pour chacune des pièces – 68 pistes au total ! –, Lucas Debargue couche ses pensées et annotations, du simple commentaire technique ou historique à des considérations plus analytiques et interprétatives. Tel un artisan, Debargue creuse au fond des choses et de sa matière ; une véritable évidence à l’écoute. Mais ce qui fait décoller ce quadruple album vers une autre teneur et lui fait éviter l’écueil de l’académisme, c’est sa dimension expérimentale, quasi ludique, rendue possible par l’instrument grâce auquel tout commence : le fameux piano Opus 102, inventé en 2015 par le facteur français Stephen Paulello.

Doté comme son nom l’indique d’un clavier de 102 touches, le piano offre une variété de résonances et harmoniques bien plus ample et généreuse, capable de « passer d’un son de velours à quelque chose de plus acidulé », idéal pour explorer l’œuvre de Fauré étalée sur plus de six décennies, et à l’évolution sans cesse renouvelée.

Né en 1990, Lucas Debargue interrompt à 20 ans ses études de lettres pour se dédier pleinement à la musique. Bien lui en a pris car en quelques années, le jeune prodige reçoit le soutien de diverses fondations jusqu’à une consécration inattendue en 2014, lorsqu’il remporte le 4e prix du prestigieux Concours international Tchaïkovsky, au cours duquel il reçoit également le prix spécial de la critique de Moscou.

Dès lors il multiplie les collaborations avec les chefs les plus réputés, notamment en Russie et Europe de l’Est : Valery Gergiev, Mikhail Pletnev, Vladimir Jurowsky ou Tugan Sokhiev. En musique de chambre ses partenaires sont, entre autres, Mischa Maisky, Janine Jansen, ou la star mondiale Gidon Kremer. Avec ce dernier on lui doit au disque une très belle monographie du compositeur polonais Milosz Magin, parue chez Sony en 2021. D’autres sorties complètent le tour d’horizon de cet artiste complet et libre, absolument brillant dans les répertoires les plus variés : Mozart, Scarlatti, Chopin, Bach, Beethoven ou Szymanowski