Pas facile de jouer des coudes sur la scène de la machiste Music City, berceau de la country music, lorsqu’on est une femme. Au fil des ans, certaines ont tout de même réussi à faire bouger les lignes et les mentalités. Comme ces dix-là, pionnières et révolutionnaires ayant posé – et imposé – leurs santiags sur la table de Nashville.

Kitty Wells

Au commencement était Kitty Wells… C’est avec cette contemporaine d’Hank Williams, grande experte du style honkytonk, que les femmes avancent enfin sur le devant de la scène à Nashville. Née Ellen Muriel Deason à Music City en 1919, elle est la première chanteuse à décrocher une pole position dans les charts, en 1952, avec It Wasn't God Who Made Honky Tonk Angels, mythique dénonciation du machisme alors ambiant. Durant une décennie, elle restera dans ces sommets, ce qui lui permettra de faire partie du top 10 des plus grosses « vendeuses » du genre aux côtés de Dolly Parton, Loretta Lynn, Reba McEntire, Tammy Wynette et Tanya Tucker. Pour arriver là, Kitty Wells dû lutter pour une raison simple : c’est une femme. Dans l’Amérique des années 40, elle chante avec ses sœurs, les Deason Sisters, puis avec son mari Johnnie Wright et sa sœur Louise Wright. Ce trio, Johnnie Right & The Harmony Girls, devient quartet, les Tennessee Hillbillies, puis les Tennessee Mountain Boys. Wright et Wells chantent également en duo. Mais RCA Records n’est pas encore prêt à promouvoir une femme en solo. Au point de remercier Kitty, qui envisage d’abandonner purement et simplement la musique. Deux ans plus tard, Decca la convainc d’enregistrer It Wasn't God Who Made Honky Tonk Angels. « C’était une réponse au morceau d’Hank Thompson The Wild Side of Life, qui raillait les séductrices. C’est vrai ça, c’était toujours de notre faute à nous, les femmes ! » Le message est si controversé que les radios le boycotteront. Pas le public : 800 000 exemplaires sont écoulés durant l’été 1952 ! Les ventes de ses singles dans les années qui suivront font avancer les choses, et elle peut enfin publier Kitty Wells' Country Hit Parade, en 1956, premier album de country sorti par une femme. Decca lui restera fidèle jusqu’en 1973. Sans Kitty Wells, pas de Loretta Lynn, ni de Dolly Parton ! Même si les années 60 marquent le début de la fin, elle réussira à placer quelques tubes dans les charts, son aura de reine demeurant intacte malgré l’arrivée de la jeune génération et l’avènement des sonorités nettement plus rock. Au point qu’en 1974, le label Capricorn lui fait enregistrer un album aux effluves bluesy, Forever Young (sur lequel elle reprend l'hymne éponyme de Bob Dylan), où elle est épaulée par des chevelus comme Chuck Leavell du Allman Brothers Band et Toy Caldwell du Marshall Tucker Band ! Il ne lui reste plus qu’à être intronisée au Country Music Hall of Fame en 1976. Kitty Wells est alors la seconde femme à y entrer, après Patsy Cline trois ans plus tôt.

Patsy Cline

Avec Patsy Cline, la country passe du bon vieux rade honkytonk au théâtre habillé d’épais rideaux de velours rouge. Un tour de magie opéré par le producteur Owen Bradley qui apposera sur cette fille née en Virginie son fameux Nashville Sound, ce son basé sur la prépondérance du chant, l’ajout d’une section de cordes et de chœurs et qui transforma la country en industrie. Patsy Cline, c’est surtout la première vraie star du genre. Une sorte d’Elvis au féminin (le groupe vocal du King, les Jordanaires, l’accompagnera d’ailleurs à plusieurs reprises), dont les ballades avaient les intonations de grands mélos, entre rêve et réalité, épanchements mélancoliques et larmes d’amertume… Cette fille du Sud deviendra une fille de l’Amérique entière. Encore plus lorsqu’elle périra le 5 mars 1963 dans un accident d’avion à seulement 30 ans. La fin d’un conte de fées qui débute dans une famille ouvrière dans les années 30. Abusée par son père forgeron, obligée de travailler après l’école, Virginia Patterson Hensley est victime d’une infection à la gorge à 13 ans. Un accident qui transforme pour toujours sa voix et lui donne ce ton grave, ce timbre riche qui la caractérise tant. Cette transformation l’incite à pousser la chansonnette, d'abord dans le temple baptiste aux côtés de sa mère puis dans des radios locales. À 15 ans, elle décroche une audition pour jouer dans l'émission culte de la country, Grand Ole Opry. Elle passera les années 50 à gravir les échelons, enregistrant pour Four Star puis Decca et devenant une voix prisée du genre, touchant aussi au gospel, au rockabilly et à la pop lounge. Tout change vraiment la décennie suivante, dès 1961 avec le tubesque I Fall to Pieces qui touche un public autre que purement country. La même année, Patsy frôle la mort dans un accident de voiture. Même si elle ne sait pas que la grande faucheuse se rattrapera trois ans plus tard, elle s’envole alors vers les cimes de la gloire. Notamment grâce à la sublime ballade Crazy composée par Willie Nelson, ou au sublime Sweet Dreams qui donnera son titre au biopic que Karel Reisz réalisera en 1985 avec Jessica Lange.

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