La réédition massive et parfaitement restaurée des enregistrements de studio de Guido Cantelli, au début des années 1950 pour EMI et RCA, viennent raviver le souvenir d’un chef d’orchestre dont le lumineux témoignage commençait singulièrement à s’émousser. « Chef d’orchestre des temps nouveaux », Guido Cantelli était un aristocrate de la baguette, toujours à la recherche du beau son à travers un strict respect des partitions qu’il dirigeait avec ferveur.

C’est l’époque où les chefs italiens tenaient le haut du pavé grâce à des personnalités aussi exceptionnelles qu’Antonio Guarnieri, éternel rival d’Arturo Toscanini, mais aussi Victor de Sabata, Tullio Serafin ou encore Antonino Votto, qui fut le professeur de Cantelli, entre autres élèves devenus célèbres. La carrière de Carlo-Maria Giulini prend son essor parallèlement à celle de Guido Cantelli, son cadet de six ans. La génération suivante verra l’ascension de Claudio Abbado puis de Riccardo Muti et de Riccardo Chailly.

Giulini dirigera jusqu’à un âge avancé et mourra à l’âge de 91 ans, laissant derrière lui un Guido Cantelli éternellement jeune, à jamais figé dans son masque souriant par la mort, à 36 ans, sur la piste de l’aéroport parisien d’Orly, à bord du Douglas DC-6 qui venait de Rome et qui l’emmenait vers de nouveaux succès à New York. L’avion a heurté un immeuble en bout de piste après un vol d’à peine 15 secondes pour des raisons restées inconnues.

Le « Fils des dieux »

Götterknabe, c’est ainsi qu’Elisabeth Schwarzopf surnommait affectivement le jeune chef d’orchestre lorsqu’elle chanta sous sa direction un Cosi fan tutte d’anthologie le 27 janvier 1956, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Mozart et de l’inauguration de la Piccola Scala à Milan, peu avant les débuts de Cantelli comme directeur musical de la Scala en remplacement de Giulini. Aux côtés de la diva allemande, une distribution de choix : Nan Merriman, Rolando Panerai, Graziella Sciutti, Luigi Alva et Franco Calabrese. La trace sonore de cet évènement a été heureusement conservée. On peut y percevoir la direction trépidante, survoltée et si théâtrale de Cantelli à travers la médiocrité de l’enregistrement.

Le fameux théâtre devait porter chance à ce jeune homme doué. C’est là qu’il fut découvert par Toscanini assistant à une de ses répétitions en 1948. Le coup de foudre est immédiat et l’illustrissime maestro vieillissant voit en Cantelli son successeur à New York, tout en se remémorant à travers lui l’image de ses débuts et de sa jeunesse. Dès lors, la carrière fulgurante du jeune Italien démarre sur les chapeaux de roues et sous les meilleurs auspices. Il dirige des concerts et enregistre ses premiers disques à la tête de l’Orchestre de la NBC et on songe aussitôt à lui pour prendre la direction du New York Philharmonic. Il s’en est donc fallu d’un cheveu pour que la carrière de Leonard Bernstein prenne un tout autre chemin… Mais on ne refait pas l’histoire. L’attachement du vieux maître pour son jeune confrère est tel que la disparition de ce dernier lui est cachée. Surpris de ne pas avoir de ses nouvelles, Toscanini mourra paisiblement le 16 janvier 1957, deux mois à peine après celui qui devait lui succéder, sans jamais savoir qu’il l’avait précédé dans la mort.

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