De larges fragments d’Orango, un opéra de Chostakovitch, auraient été retrouvés à Moscou.

Selon le quotidien canadien Le Devoir, de larges fragments d'Orango, un opéra satirique que Chostakovitch composait en 1932, projet dont personne, ou presque, n'avait connaissance, ont été retrouvés à Moscou. Le musicologue anglais Gerard McBurney est en train de constituer une partition exécutable de cette fable.

Le livret avait été conçu par l'écrivain Alexei Tolstoï et le journaliste Alexander Starchakov. Disparu en 1945, Tolstoï, surnommé le comte rouge, était connu pour ses ouvrages de science-fiction. Antibolchevique, réfugié en Allemagne puis en France, il retourna dans son pays en 1923 et se convertit au stalinisme, devenant même député. Starchakov était quant à lui journaliste, critique littéraire, victime, lui, des purges.

Orango est un «biomorphe», produit le plus avancé de la science soviétique, mi-homme mi-singe (d'où son nom). Dans l'acte 1, celui qui fait l'objet des partitions retrouvées, Orango est exhibé, provoquant l'éblouissement du peuple soviétique et la stupéfaction des Occidentaux. Malgré sa conception récente, Orango est déjà, au sein de la société, un journaliste influent et un orateur de premier ordre, même si ses discours sont parfois interrompus de cris primaux…

Toujours selon Le Devoir, l'archiviste Olga Digonskaïa, qui a découvert les fragments dans les archives Chostakovitch en 2006, a retrouvé plus récemment dans les archives de la famille Tolstoï le livret complet de ce pamphlet politique : le projet était un opéra en trois actes, dans lequel Orango finissait par devenir secrétaire général du Parti communiste ! On peut légitimement imaginer que Chostakovitch, contrairement à Starchakov, l'a échappé belle, l'heure et le lieu n'étant pas vraiment aux pamphlets politiques...

On a, depuis une vingtaine d'années, grâce par exemple aux carnets de Lyubov Shaporina, la femme du compositeur Yuri Shaporin, un regard plus lucide sur ce qu'on pourrait appeler la «dissidence artistique en filigrane» de Chostakovitch, par exemple dans sa Symphonie n°5 de 1937. L'abandon de ce projet à haut risque, selon Olga Digonskaïa, a été justifié par le fait que le biologiste généticien, objet des sarcasmes des auteurs, avait été arrêté. Orango devenait «sans objet» et la commission du Théâtre du Bolchoï, passée en 1931, fut annulée.

Les années 30 furent une période fertile de la carrière de Chostakovitch. Il compose depuis 1931 son opéra Lady Macbeth du district de Mtsensk, contemporain de sa Symphonie n°4. Il est impatient de s'adonner à la composition d'un nouveau projet scénique après le succès de son premier opéra, Le Nez (1928-29). Orango s'inscrivait bien dans la veine satirique du Nez. Une époque qui est aussi celle des musiques pour le cinéma et le théâtre et celle du ballet Le Boulon.

La redécouverte d'Orango est inattendue, car la littérature n'avait jusqu'ici fait état que de rumeurs à propos d'intentions entourant un tel projet. Or la découverte d'Olga Digonskaïa est celle d'une partition non orchestrée (la musique est notée au piano) du premier acte dans son intégralité.

La nouveauté, poursuit l’article du Devoir, est donc d'apprendre qu'il s'agissait bien plus que d'un projet théorique : une composition largement entamée avant d'être abandonnée. On se doute aussi que Chostakovitch n'était pas prêt, après avoir essuyé les foudres du régime après la création de Lady Macbeth du district de Mtsensk, à ressortir Orango des cartons, ou à montrer qu'il avait travaillé avec ardeur à un tel sujet…

D'après les informations du Devoir, une partie de la musique d'Orango se retrouverait dans d'autres œuvres de la même période, avec une parenté de l'ouverture avec celle du Boulon et des thèmes en commun avec la musique de scène d’Hamlet. Cependant, la partition redécouverte posséderait une vraie originalité dans les scènes de foule (notamment une scène de conférence de presse) et dans tout le traitement musical associé au simiesque héros. Chostakovitch avait inscrit le mot «pamphlet» sur sa première page, terme qu'il a sans doute assorti d'une musique sardonique et mordante, avec tout le sens de l'absurde dont il savait faire preuve à l'époque…

Ce premier acte d'Orango contiendrait 45 minutes de musique. Gerard McBurney pense achever l'orchestration au milieu de l'année 2009. La date d'une éventuelle première présentation n'est pas encore définie.