Le pianiste Denis Pascal évoque son ancien professeur disparu le 20 octobre dernier à l’âge de 91 ans.

Disparu le 20 octobre dernier, Pierre Sancan fut, pendant près de 30 ans, une institution du Conservatoire de Paris. Par ailleurs pianiste unique et compositeur tout aussi passionnant, il eut de nombreux élèves de renom comme Jean-Bernard Pommier, Émile Naoumov, Jacques Rouvier, Michel Beroff, Jean-Philippe Collard, Marc Laforêt, Abdel Rahman El Bacha, Jean-Efflam Bavouzet, Olivier Gardon ou bien encore Denis Pascal. Ce dernier revient pour Qobuz sur sa rencontre avec Sancan

Quand avez-vous rencontré Pierre Sancan ?

Denis Pascal : J'ai étudié avec Sancan pendant ses dernières années au CNSM. Je l'avais auparavant rencontré lors de ses cours publics à Toulouse organisés par une fidèle amie pendant des années. Une chance donc pour moi. Il était vraiment un très grand artiste et certainement un des derniers grands maitres du piano français. Ses dernières années au CNSM furent marquées par son soucis de la construction musicale de l'écoute, de la conduite du son, de l'engagement émotionnel, d'un extrême développement de l'écoute harmonique, de son amour pour Ravel, Chopin , Debussy, Schumann, et les trésors qu'il nous faisait découvrir dans l'écriture et la réalisation de la pensée musicale à travers les plus subtiles sensations dans la paume de la main, le bras et enfin l'omniprésence du chant… C'est en fait tout le contraire de la réputation de technicien froid et analytique que lui ont fait la plupart des pianistes de l'époque. Il avait une des plus belles sonorités qui soit parce qu'emplie d'une immense sensibilité. Il a d'ailleurs essayé de rationaliser son approche du piano sur différents plans, certainement pour canaliser ce tempérament unique. En cela il est assez exceptionnel dans tout le panorama des artistes français du siècle dernier.

Quelle image aviez-vous de lui avant d'étudier à ses côtés ?

Pas vraiment précise car je l'ai rencontré assez jeune, suffisamment pour n'avoir aucun préjugé à son égard. J'ai simplement été rempli d'émotion quand je l'ai entendu jouer la première fois, Novelette n°1 de Schumann, et surtout l'enseigner en y dévoilant les trésors. Il était en tout cas considéré comme l'éminence absolue du piano en France ! Et on se pressait à ses cours

Quel type de professeur était-il ?

Un personnage capable de tenir en haleine l'auditoire pendant ses cours publics. Il avait un don extraordinaire de communication à travers la musique et une relation très particulière avec le public. Un homme d'une très grande prestance au visage à la fois doux et autoritaire. Je pense qu'il était, in fine, un enseignant « socratique » car autour de la beauté de la musique, il nous positionnait pour que nous-mêmes « accouchions » d'une réponse personnelle donc solide, valide et non dogmatique. Certains se souviendront uniquement de ses cahiers d'exercices de ses « systèmes » de travail, qui n'étaient là que pour passer une étape, non essentielle pour Sancan.

Avec le recul qu'est-ce que son enseignement vous a le plus apporté ?

Le souffle, le sens, certainement le rêve et la recherche de la beauté dans laquelle il nous plongeait, la recherche de la petite vibration qui donne l'émotion, bien sûr l'analyse et l'exploration de la paume de la main du bras, du chant.

Comment voyez-vous le Sancan pianiste? Et le Sancan compositeur?

Pierre Sancan, comme je l'ai dit plus haut, avait une exceptionnelle qualité émotionnelle dans son jeux, surtout une noblesse incroyable, il était je pense en accord parfait avec une esthétique comme celle de Ravel. Je n'oublierai jamais sa manière d'approcher Schumann et Chopin : il avait l'oreille du compositeur, le cœur d'un grand chanteur et l'imaginaire du peintre. Sancan compositeur, d'autres en parlerons mieux que moi. Il y a quelques œuvres très appréciées : le ballet Les Fourmis, le Concerto pour piano, la Sonatine pour flûte... j'adore sa symphonie pour cordes... Comme pianiste, il laisse quelques mémorables enregistrements : les Concertos de Ravel où il semble inégalable, le Ré mineur de Mozart, des chorals de Bach... C’était un grand admirateur de Michelangeli et de Kempf, une esthétique donc très poussée mais pas forcément idiomatique de l'école française dont il dépeignait les travers assez fréquemment, ceci est un autre chapitre...

Une anecdote en particulier ?

Malheureusement que les tristes souvenirs du début de la maladie qui l'a frappé dès 1984 et qui a jeté la confusion autour de lui. Lors de ses obsèques, Olivier Gardon a très bien parlé de cet « impossible deuil à faire » pendant les vingt ans où il s'est retiré du monde, et de l'angoisse dans laquelle tous ses derniers disciples et son entourage ont été plongés… Il nous reste beaucoup de grand souvenirs avec Pierre Sancan qui font que la route de la musique a valu la peine d'avoir été prise pour chacun de nous, c'est un héritage magique qu'il aura laissé à beaucoup.