Chaque semaine, Qobuz revient sur les réactions de quelques-uns de ses utilisateurs et commente les plus surprenantes.

Un usager de Qobuz nous écrit un long message que voici :

Bonjour,

Ne trouvant pas sur votre site l'endroit idéal pour poster une intervention sur la question particulièrement sensible de la qualité des fichiers haute résolution, je me suis rabattu sur les rubriques "Les cinglés de la HiFi" et "La musique en qualité Studio Master". La teneur du texte que j'y cite appellerait me semble-t-il une mise au point de votre part et, pourquoi pas, un débat ouvert. C'est pourquoi, je vous fais suivre directement cette contribution ci-après.

Des cinglés de la HiFi, il y en a un peu partout dans le monde, ce qui témoigne de la vitalité de cette pathologie aussi étrange qu'attachante. Internet a rendu visible la communauté qu'ils forment, exposé au grand jour leurs dévotions ardentes, leurs engouements cycliques, leurs guerres picrocholines et l'acrimonie qu'elles suscitent.

Parmi les passions qui nous agitent, il y a notamment la diffusion d'enregistrements que nous soupçonnons d'être parfois indûment labellisés "haute résolution". J'ai relevé à ce sujet ce que l'un des éminents confrères américains de Qobuz, Mark Waldrep, le "patron" d'AIX Records et iTrax, publie sur son blog en date du 27 janvier (http://www.realhd-audio.com/?p=2364). Ce texte ayant le mérite de poser une question qui appellerait réponse de Qobuz, j'en propose ici une traduction rapide:

« L’intérêt croissant que suscitent l’Audio Haute Résolution et sa commercialisation risquent fort de connaitre une plongée en eaux troubles si les fournisseurs de téléchargements soi-disant « master » ne se décident pas à faire le ménage dans ce qu’ils proposent. Je crains sérieusement que la confusion entretenue entre ce qu’est ou n’est pas un enregistrement en haute résolution ne finisse par entrainer la mort de cette avancée potentiellement décisive par rapport à nos vieilles habitudes d’écoute. Pourquoi évoquer ce problème maintenant? Tout simplement parce je viens de télécharger des fichiers-échantillons audio haute résolution sur le site français Qobuz.com et… que j’y ai trouvé autant de bruit marketing et d’approximations que sur la plupart de nos sites domestiques.

Il semble bien que Qobuz soit un gros joueur au sein du paysage européen. Son site est très étendu, il donne accès aux catalogues de tous les labels importants, propose un streaming « haute résolution », un magazine Haute Fidélité « High End » et de très nombreuses options pour chacune des pistes à télécharger. Celles-ci sont vendues dans des formats allant du MP3 à la qualité « Studio Masters » à 192 kHz/24bits ! En indiquant l’OS que l’on utilise, un choix de format vous est proposé parmi un vaste éventail.

J’ai ouvert un compte hier. Mon dossier de téléchargements s’étant vu immédiatement abonder de quelques enregistrements à caractère promotionnel, j’ai téléchargés les pistes destinées à « tester les possibilités de votre appareil Hi-Fi (24bits /192kHz et 24bits/176 kHz) ». Pour ce faire, j’ai d’abord téléchargé le logiciel Qobuz de téléchargement (qui est très agréable et semble solide) puis procédé au téléchargement des deux pistes « haute résolution » destinées à me permettre d’évaluer les « différentes fréquences d’échantillonnage ».

Si vous possédiez un site de téléchargement de musiques en haute résolution, ne souhaiteriez-vous pas que la première expérience de vos clients, celle que vous leur proposez gratuitement, soit de la qualité la plus haute et tout à fait irréprochable au plan technique ? « Eh bien, je me demande ce à quoi les gens de Qobuz pensent lorsqu’ils offrent à tout nouvel inscrit sur leur site deux enregistrements qui ne sont manifestement pas de haute résolution !

Voici le spectrogramme du premier enregistrement. Le titre de la pièce est « Mère de Dieu Vierge » et c’est une performance a capella d’un ensemble vocal. Les voix humaines ne produisent pas énormément de sons de hautes fréquences, aussi n’attendais-je pas de grandes surprises de cette piste. Mais ce que j’ai découvert, c’est un enregistrement ramené à 23 kHz alors qu’il était annoncé à 192 kHz/24bits et supposé nous permettre d’évaluer des matériaux sonores à très haut taux d’échantillonnage ! [Figure 1 : Spectrogramme]

Le fait que le diagramme rejoigne le zéro absolu signifie qu’un filtre passe-bas a été utilisé pour exclure les fréquences risquant d’être enregistrées au delà des limites de résolution du standard CD. Du moins, c’est ce que j’imagine.

La seconde piste a été enregistrée à 176,4 kHz. C’est un trio de jazz avec contrebasse acoustique. On s’attend donc à ce qu’il contienne une quantité raisonnable de sons de haute fréquence du fait de la batterie. Cette fois, pas de réduction de la fréquence d’échantillonnage… bien que la piste eût sans doute bénéficié d’un filtre passe-bas du fait de quelques oscillations dans le haut du spectre et d’une grande quantité de bruit dans les fréquences les plus élevées. Je suppose que cette piste a été enregistrée à partir d’une bande analogique et qu’il y avait un bruit de fond ultrasonique dans le studio à ce moment là. Voici le spectrogramme [Figure 2 : spectrogramme]

Il est très clair que ce site français fait preuve d’une certaine méconnaissance à propos de l’audio haute résolution. Malheureusement, la quantité d’informations erronées généralement diffusées à ce sujet est en train de précipiter du haut de la falaise ce qui pourrait être un nouveau développement prometteur [de la HiFi]. J’en suis découragé. »

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Nous avons donc interrogé d’abord le responsable du label Psalmus, qui a réalisé les enregistrements mis en cause par le blogueur cité par notre utilisateur français. Voici sa réponse, que nous avons choisi de laisser "dans son jus".

« Bonsoir à vous,

Je viens d’avoir Sébastien au téléphone à ce sujet.

Le pseudo spécialiste de la haute-définition qui s’est exprimé dans cet article confond le spectre sonore techniquement atteignable grâce aux formats haute-définition et le spectre sonore réel des instruments de musique et des voix, qui est nécessairement plus limité. Ce n’est pas parce que l’on utilise la très haute définition que l’on pourra monter en fréquence au-delà du spectre réel. Ce ne serait plus de la haute-fidélité mais une haute trahison et une haute infidélité au son si une trompette, par exemple, dont le spectre est limité à 40-50 khz allait soudainement jusqu'à 96 khz dans un fichier 24 bits - 192 khz. Ce serait d'ailleurs le signe que l'on a rajouté quelque chose au son réel ou que des artefacts numériques se sont glissés dans le fichier.

Il n’est absolument pas étonnant, en ce qui concerne le disque Grand chant à la Vierge (PSAL013) que le spectre n’aille pas au-delà de 23 khz.

Il s’agit d’un disque de voix d’hommes avec un soliste, baryton-basse, et un chœur de trois chanteurs, baryton, ténor et basse profonde. La voix du soliste ne va pas au-delà de 8 khz, et seules ses harmoniques vont au-delà. Je trouve même que parvenir à 23 khz avec cette distribution signifie que l’enregistrement est particulièrement transparent et que les voix, pourtant de tessitures graves, sont riches en harmoniques...

J’ai vérifié sur nos autres enregistrements.

Nous arrivons jusqu’à 27 khz sur le disque des chants de la Passion (avec un chœur de chanteurs plus ténorisant), 30 khz sur le disque Jeux d’orgue et de voix (étendue vocale plus grande du chœur avec tous les pupitres) mais on constate que certains jeux d’orgue Renaissance, par exemple, plafonnent à 9 khz, et pourtant on est bien dans de la haute définition ! Le disque des Sonates du Rosaire de Biber touche les 33 khz (richesse de la palette instrumentale) tandis que notre dernier enregistrement (non sorti) de L’Art de la fugue de Bach au clavecin titille les 36 khz (sur un fichier pourtant 64 bits et 352 khz qui, pour la petite histoire, nous sert désormais à faire le montage, afin justement de ne pas perdre un bit de qualité).

J'ajoute que nos enregistrement sont faits en acoustique naturelle (église le plus souvent, comme le disque Grand chant à la Vierge) et non en studio. Le spectre sonore en acoustique naturelle tend naturellement à décliner plus on monte en fréquence. Il n'est donc pas davantage étonnant qu'il ne reste quasiment plus rien (en tous cas plus rien de visible sur un spectrogramme qui est un outil simplement visuel) après 40 khz, malgré un fichier à 192 khz. En même temps, s'il y a fort peu d'informations au-delà de 40 khz, elles existent quand même et contribuent à donner ce surcroît de naturel des fichiers haute-définition.

Enfin, la bande passante des micros n'est, elle-même, pas extensible et décline le plus souvent de manière forte à partir de 25/30 khz. La polémique est donc ridicule et elle enfonce son auteur.

Voici les détails techniques de l'enregistrement du CD Grand chant à la Vierge :

- Eglise de Venerque (Haute-Garonne) en juin 2010

- Couple de microphones DPA 4006-TL

- Préamplificateur de microphone Forssell SMP-2

- Cables microphones 47 Labs

- Autres câbles : Klinger Favre, Cardas

- Monitoring : Klinger Favre

- Enregistrement au standard DSD 2,8 Mhz (Convertisseur stéreo Grimm Audio AD-1 ; Station Tascam DV-RA1000 HD)

- Aucune compression dynamique

- Montage sur station Sequoia, après conversion des fichiers DSD au format PCM 32 bits 192 khz via le logiciel Saracon-DSD de Weiss

- Mastering sur station Sequoia

Peut-on faire plus naturel que cela ?

Bien à vous

Jean-Marc »

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Nous avons également interrogé Stefan Winter du label Winter & Winter, l’un des producteurs les plus respectés au monde dans le domaine du jazz et du classique. Il nous a répondu : « Thank you for your e-mail. I am not interested in telling a journalist or any other person the secrets of my recording procedure. So I will limit myself to the following:

The recording session with Hank Roberts was made without any digital processing, without any digital reverb and without any digital effects live-to-analog-two-track-1/2 inch-virgin-analog-tape in 30 ips without any dolby and any other systems like that. I only use hand selected microphones, for example the best tube microphones available on the market for Hank Roberts' cello. The 24 bit digital master was made with a special atomic clock and special analog-to-digital converters directly after the head of the analog recording machine in real time during the recording procedure. This is the Fine Art of Recording. If you want, you can put this information on the web. »

Un dernier mot : il est amusant de constater que le blogueur cité parle par ailleurs de créer son service de téléchargement HD. Nous sommes ravis de compter parmi les concurrents de Qobuz un homme aussi sévère et intraitable ! Ce métier ne comptera jamais assez de gens exigeants.

Encore faut-il considérer qu’on ne fait pas de la musique, qu’on ne fait pas de disques, qu’on ne fait pas de prises de son, qu’on ne fait pas le métier de producteur sans une éthique personnelle. Or il se trouve que les deux extraits musicaux incriminés sont l’œuvre de producteurs et directeurs artistiques qui sont des modèles d’honnêteté. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avions choisis leurs travaux pour notre sampleur de démonstration.