La batterie est l'instrument roi du jazz

Etonnant mais véridique, la batterie est un instrument inventé par un homme orchestre dans un cirque au XIXème siècle. Le « clown » eut l’idée saugrenue de jouer de tous les instruments à percussions d’une fanfare à lui tout seul, animant grosse caisse, caisse claire, tambours, cymbales, cymbales charleston (high hat) et toute un arsenal de percussions, cloches, carillons, etc. L’ancêtre de Rémy Bricka d’une certaine manière ! Le geste décisif fut celui de la mise au point de la pédale de grosse caisse (une simple batte de bois actionnée par le pied) et la légende l’attribue à Dee Dee Chandler en 1895. Ainsi dit-on souvent qu’il fut le seul instrument inventé par le jazz. La batterie devint très vite l’instrument roi du jazz, indispensable pour transmettre la pulsation et développer le swing. Les pionniers de l’instruments se font très vite remarqués dès les années 20 : Baby Dodds, Zutty Singleton, Paul Barbarin, Kaiser Marshall, etc. Malheureusement, la prise de son de l’époque, gravure sur acétate oblige, ne permet pas de leur rendre pleinement justice. Les années 30 connurent leurs « batteurs héros » : Chick Webb, Gene Krupa, Big Sid Catlett, Jo Jones, … La révolution de la batterie eut lieu en 1945. Grâce à Kenny Clarke et quelques autres (Max Roach, Art Blakey, Philly Jo Jones, Denzil Best, Roy Haynes, etc.), l’instrument s’émancipe. C’est sa fonction qui est changée, d’instrument pour la danse, il devient instrument de concert. La batterie s’avoue plus encore instrument mélodique capable de phraser et de moduler les sons. Citons Art Taylor, Connie Kay, Shelly Mann, Chico Hamilton, Danny Richmond, Louis Hayes, Charli Persip, etc. Mais aussi ceux qui illustrèrent les grandes heures des big bands : Buddy Rich avec son grand orchestre, Sam Woodyard avec l’orchestre de Duke Ellington, Sonny Payne avec celui de Count Basie, Mel Lewis avec le grand orchestre qu’il co-dirige avec Thad Jones, … Avec Elvin Jones dans les années 60, la puissance de frappe mais aussi une nouvelle façon de ponctuer ou plutôt de nourrir le flux musical entre en scène, on parle alors de polyrythmie, la voix est ouverte à une expression plus libre et plus complexe, il n’y a plus d’éléments de la batterie à qui soit dévolue une fonction précise et fixe. Les batteurs jouent librement avec les timbres, avec les rythmes, qu’ils superposent ou font varier, dessinent ainsi une musique dans la musique. Daniel Humair, Al Foster, Andrew Cyrille, Pierre Favre, Sonny Murray, Joe Chambers, Steve Gadd, Peter Erskine,… trouveront leurs successeurs dans les Ari Hoenig, Jeff Balard, Mark Giuliana, Olivier Le Goas, Anne Paceo, Christophe Marguet d’aujourd’hui. Alors que les batteurs des années 70 continuent la tradition de la batterie d’accompagnement et de pulsation destinée à la danse : Bernard Purdie, Billy Cobham, Lenny White, Alphonse Mouzon, … Sortie de son carcan, désormais affranchie de toute contrainte, la batterie demeure l’instrument roi du jazz.