Si l'anniversaire de Carl Philipp Emanuel Bach est, bienheureusement, dignement fêté en cette année 2014, ce n'est pas le cas de son exact contemporain Christoph Willibald Gluck (ci-dessus : Buste de Gluck par Houdon), né lui aussi en 1714, il y a tout juste 300 ans. Mais il est vrai que Gluck n'a pas besoin de réhabilitation, car son nom n'a jamais été oublié et sa célèbre "réforme" de l'opéra a durablement transformé l'art lyrique. En introduisant le naturel et la vérité dramatique dans ses ouvrages, Gluck a ouvert la porte à l'opéra du futur jusqu'à Verdi et Puccini.

C'est vers la fin des années 1750 que Gluck commence sa métamorphose en se rebellant contre l'opéra italien métastasien trop stéréotypé. C'est alors qu'il met au point un nouveau genre de ballet dramatique qui traduit des sentiments plutôt que de montrer toujours les mêmes gestes stylisés. Son ballet Don Juan est un événement décisif à cet égard et exercera une influence durable sur les compositeurs de l'époque, jusqu'au Don Giovanni que Mozart écrira 25 ans plus tard.

Mais c'est son Orfeo ed Euridice qui marque le début de la réforme dans le domaine de l'opéra, ce mythe d'Orphée, ce symbole même de l'art musical qui avait déjà marqué le point de départ de l'opéra, à Florence, au XVIIe siècle, lorsque certains intellectuels ont cherché à recréer le théâtre grec antique. Comme on le sait, l'opéra est né de cette méprise, puisque on a inventé un nouveau genre en voulant tenter de reproduire l'ancien. Largement inspiré du madrigal, il y eût d'abord la Dafne de Jacopo Peri, dont la musique est perdue, à Mantoue, puis l'Orfeo de Monteverdi présenté dans la même ville pour l'ouverture du Carnaval de 1607.

Lorsqu'il arrive à Paris en 1774 après avoir sillonné l'Europe (Italie, Allemagne, Londres, Prague), Gluck décide d'appliquer sa réforme à l'opéra français en donnant son Iphigénie en Aulide qui remporte un franc succès. Il fait représenter peu après, en français, son Orfeo, rebaptisé Orphée et Eurydice , puis, en 1776, c'est le tour d'Alceste dans une nouvelle version française. C'est le point de départ de la controverse avec cette Querelle des Gluckistes et des Piccinnistes qui va diviser le monde musical parisien en deux clans, opposant les défenseurs de l'opéra français (Gluckistes) et les tenants de l'opéra italien (Piccinnistes). Les compositeurs eux-mêmes prennent part à la polémique en composant tous les deux un opéra sur le même sujet, Iphigénie en Tauride, mais sur un livret différent. C'est Gluck qui, en quelque sorte, l'emporte avec un éclatant succès. Mais son étoile cesse de briller, à Paris, après l'échec cuisant d'Écho et Narcisse en 1779 qui le décide à quitter la capitale pour se retirer à Vienne. L'Iphigénie en Tauride de Piccinni (portrait ci-dessus) est donnée sans grand succès en 1781 et met fin à cette querelle bien parisienne sans qu'il y ait un véritable vainqueur.

Gluck revient à Vienne profondément affecté par son dernier échec parisien. Admiré par de jeunes compositeurs, comme Kraus et Mozart, dont il va influencer les oeuvres, il ne compose plus. Sa santé devient chancelante et après deux attaques cérébrales il se retire après avoir réalisé une adaptation allemande de son Iphigénie en Tauride. Il n'écrira plus que quelques lieder sur des vers de Klopstock qui seront publiés en 1785.

Il meurt paisiblement le 15 novembre 1787, quinze jours après la création triomphale de Don Giovanni à Prague, un opéra, nous l'avons vu, dans lequel Mozart paye son tribut à l'influence de Gluck en même temps qu'il ouvre la porte au grand opéra romantique.

"La grandeur de Gluck - écrit la musicologue Wendy Thompson - tient au fait qu'il a su mettre en pratique la théorie. Il a restauré un équilibre entre la musique et le drame en recherchant une "magnifique simplicité" dans son écriture mélodique, en travaillant étroitement avec ses librettistes pour obtenir une intrigue plus naturelle et plus crédible et en moulant sa musique de manière à rehausser le drame sans s'occuper des conventions."

Théoricien et musicien, comme Rameau, Gluck aura traversé les siècles et ses opéras de maturité, Orphée, Alceste, Armide, Iphigénie en Aulide et Iphigénie en Tauride sont restés les vivants témoins d'une révolution qui n'aura échappé ni à Berlioz ni à Wagner qui ont reconnu l'influence du compositeur allemand sur leurs propres oeuvres.