Si l'année qui s'achève a été particulièrement fertile en commémorations musicales diverses, ce sont toujours les mêmes poids lourds qui se sont payés la part du lion : Wagner, Verdi, Poulenc, Britten et dans une moindre mesure Lutosławki et, dans le peloton de queue, l'infortuné Charles-Valentin Alkan qui semble toujours méconnu et même carrément maudit. Mais cette situation est clairement en train de changer.

Cet étonnant musicien romantique français, né le 30 novembre 1813, laisse une oeuvre singulière dont l'originalité est certainement la cause de la méconnaissance qui a durablement entouré ce compositeur. Comme celui d'Hector Berlioz, son aîné de dix ans, l'art d'Alkan est difficile d'accès pour un public superficiel et l'exécution de ses oeuvres exige une grande technique. Il faut dire qu'il était un pianiste étourdissant dont la virtuosité était comparable à celles de Thalberg ou de Liszt, lequel, dit-on, craignait de jouer en sa présence.

Comme souvent, ce sont des musiciens étrangers qui ont découvert la musique d'Alkan, à l'exception notable du pianiste Laurent Martin (photo ci-dessous) qui s'intéresse à lui depuis fort longtemps. Curieux de tous les répertoires oubliés (Pauline Viardot, Blanche Selva, Alexis de Castillon, Théodore Gouvy, Mel Bonis, George Onslow, Fernand de la Tombelle) le pianiste a déjà consacré cinq CD à la musique de Charles-Valentin Alkan, réalisés pour MARCO POLO, NAXOS et LIGIA DIGITAL. Il promène aussi sa musique en concert et, quelquefois, en duo avec le poète lyonnais François Montmaneix (récemment au château de Vaulx et lors d'un concert privé dans les environs de Saumur), dont la prose sensible s'accorde si bien avec les Esquisses du compositeur.

Parmi les nouveautés parues en cette année du bicentenaire, signalons l'enregistrement de Pascal Amoyel consacré à une des oeuvres majeures d'Alkan, sa Grande Sonate "Les Quatre âges de la vie" op. 33. Le jeune pianiste italien Vincenzo Maltempo (il est né en 1985) s'intéresse lui aussi à Alkan. Son dernier enregistrement consacré à ce compositeur comporte une saisissante version du fameux Festin d'Esope, ainsi que les Morceaux dans le genre pathétique. Le pianiste américain Albert Frantz a enregistré pour sa part une très belle version de la Grande Sonate pour le label indépendant viennois GRAMOLA.

Le pianiste et compositeur anglais Jack Gibbons s'est lui aussi intéressé de près à Alkan en enregistrant les 12 Etudes dans tous les tons mineurs, op. 39 qui forment l'autre grand sommet de sa somme pianistique.

On peut dire que Charles Valentin Alkan a trouvé un pianiste à sa démesure avec le Canadien Marc-André Hamelin. Son ahurissante virtuosité fait littéralement exploser le clavier dans les enregistrements réalisés pour HYPERION, qu'il s'agisse de la Grande Sonate, du Concerto pour piano seul ou d'un choix particulièrement judicieux parmi les Etudes et les Morceaux dans le genre pathétique.

Mais la palme du mérite (!) revient aux musiciens anglais pour lesquels la musique d'Alkan fait partie intégrante de leur répertoire : Ronald Smith, Stanley Hoogland, Steven Osborne pour le piano et Kevin Bowyer qui a enregistré l'intégrale de l'oeuvre pour orgue.

N'ayons garde, dans ce catalogue bien incomplet, d'oublier les quelques pièces de musique de chambre laissées par le compositeur français, en particulier son Trio en sol mineur dont on trouve plusieurs enregistrements par le Trio Alkan, le Trio Clark-Welsh-Smith ou encore le Trio Gardon-Kang-Chiffoleau. Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel ont enregistré pour leur part la sombre Sonate pour violoncelle et piano pour HARMONIA MUNDI.

Au final, et en cherchant bien sur votre QOBUZ, vous pourrez découvrir que ce musicien méconnu sort peu à peu du purgatoire où l'étrangeté de sa musique et de son caractère l'avaient trop longtemps confiné.