Nous voilà donc rendus à la troisième rubrique de nos Vieux Sequins, qui visent à chercher dans les cartons poussiéreux de l’histoire du disque, particulièrement dans les années 40, 50 et 60, des pièces rares — pas toujours mais dans bien des cas excellentes, et qui le plus souvent rétablissent un peu l’ordre des gloires.

L’arrivée de collections uniquement numériques, issues de la loi sur le Domaine Public, nous y autorise, en permettant la résurrection d’enregistrements confidentiels qui ne trouvaient pas leur fondement économique en CD.

Il reste que nous ne pouvons passer sous silence, même si nous adorons passer des heures à dénicher ces trésors, notre consternation devant l’absence de documentation fournie avec la plupart de ces rééditions.

L’arrivée de collections uniquement numériques, issues de la loi sur le Domaine Public, nous y autorise, en permettant la résurrection d’enregistrements confidentiels qui ne trouvaient pas leur fondement économique en CD.

Il reste que nous ne pouvons passer sous silence, même si nous adorons passer des heures à dénicher ces trésors, notre consternation devant l’absence de documentation fournie avec la plupart de ces rééditions.

La question dès lors à se poser est de savoir pour qui ces rééditions sont faites : pour des vieilles folles comme moi à qui cela rappelle leur jeunesse ? C’est bien, mais semble économiquement insuffisant. En revanche, si ces rééditions pouvaient peu à peu construire un mausolées à l’histoire du disque, et à l’usage des jeunes générations, ce serait encore mieux. Mais la passion d’Hannah ne va pas y suffire.

Georges Solchany est enfin de retour

Bien peu d’informations sont aujourd’hui disponibles sur le pianiste hongrois Georges Solchany, qui fut un partenaire régulier du Quatuor Hongrois de la grande époque, avec lequel il a réalisé des enregistrements passés à l’histoire. On a, en revanche, totalement oublié ses enregistrements solo, qui ressuscitent heureusement ces temps-ci. EMI, pardon Warner Classics, a conservé à son catalogue son intégrale des Mikrokosmos de Bartók et c’est tout. Il s’agit de la version stéréo. La série de la BNF propose la version originale en mono.

Vive le Domaine Public, sur ce coup-là, et redécouvrons Solchany ! Commencez par l’un des plus beaux disques de musique pour piano de Bach jamais réalisé : une interprétation bouleversante du Capriccio sur le départ de son frère bien-aimé, BWV992 et une splendide interprétation du Concerto Italien. Et puis le Quintette pour piano de Brahms avec le Quatuor Hongrois, ainsi que le Quintette pour piano de Dvorak et le Quintette de Schumann, toujours avec les mêmes. Enfin, le Quintette “La Truite” de Schubert.

Enfin, Solchany, beethovénien remarquable, nous a laissé des disques formidables : une intégrale des Trios avec deux membres du Quatuor hongrois : Arpad Gérecz, et Vilmos Palotai. En prime, vous découvrirez son enregistrement des Sonates pour piano 23, 24 et 26 (“Appassionata”, “Les Adieux”, “A Thérèse”). Tous les enregistrements Beethoven de Solchany sont ICI.

Introduction à la musique sérielle : la musique sérielle pour les nuls ? Et un petit hommage par la même occasion à Paul Jacobs

Au tout début des années 60, la musique sérielle était encore une grande affaire, et l’éducation des masses mélomanes à sa gloire supérieure, un devoir sacré. C’est dans ce contexte que le critique musical Antoine Goléa, qui se décrivit ainsi dans ses mémoires : “Je suis un violoniste raté”, entreprit d’enregistrer cette Introduction à la Musique Sérielle. Cette réalisation visait à expliquer ce qui n’était pas tout à fait évident concernant cette musique pourtant pas toute neuve en France puisque déjà Jean Wiener avant-guerre avait donné à entendre celle de ses collègues viennois dont en particulier le Pierrot Lunaire.

Il reste que cet album est une petite pièce d’histoire, qui traduit bien le pédagogisme sérialiste de l’époque. Et d’autant plus qu’il est illustré musicalement par des interprétations de grande qualité, signées de Colette Herzog, belle chanteuse dévouée à la modernité et qui était la femme de l’Antoine, du génial Paul Jacobs au piano, qui nous a quittés bien trop tôt dans de tragiques circonstances. Et bien entendu les musiques d’ensemble furent confiées à Pierre Boulez et son Domaine Musical qui avait à l’époque son campement permanent chez Renaud-Barrault à Marigny.

Puisque nous parlons de Goléa, voici un document de l’INA consacré à la fameuse « Tribune des Critiques de disques » à laquelle le journaliste d’origine roumain participait, avec une fougue assez théâtrale parfois, sous la houlette du déconcertant Armand Panigel qui maniait plus souvent qu’à son tour la plus parfaite mauvaise foi avec le plus parfait aplomb ! Mais c’est une autre histoire.

Et par la même occasion, rendons hommage à Paul Jacobs. Attention : le Paul Jacobs dont nous parlons est le pianiste et claveciniste, mort en 1983 (l’une des premières victimes du SIDA). Il joua dans le Petrouchka de Boulez à Cleveland et nous laisse des interprétations inoubliables, de Schönberg à Debussy (Préludes, Etudes…).

Ecouter / Télécharger Paul JacobsLe label ARBITER lui a consacré deux albums formidables. D’une part la réédition de ses enregistrements consacrés à Ferruccio Busoni réalisés entre 1976 et 1979, et d’autre part une sélection d’enregistrements publics qui montrent la grande multiformité du musicien. C’est avec grande curiosité que l’on peut se pencher sur les prises de concert d’œuvres du répertoire classique, contenues dans cet album, très différentes des travaux en studio du pianiste. Sa sonate «Waldstein» est prise dans un tempo assez halluciné, donnant un tout autre éclairage à l’architecture du premier mouvement. Et puis une pièce fascinante : le Prélude et fugue en ré majeur du Clavier bien tempéré, d’abord dans la version de Bach, puis dans une de Busoni qui superpose le prélude et la fugue, avec quelques aménagements : ça marche ! La Fantasia Baetica de Falla nous montre le pianiste en plein dans son élément instrumental, le piano symphonique et percussif ; une réussite. En bis, une pièce de Chambonnières, mais au clavecin, ce qui démontre l’incroyable diversité de jeu du musicien.

© Ed. BillaudotLa discographie de Jean-Michel Damase (1928-2013)

Compositeur, pianiste, pédagogue, Jean-Michel Damase fut l’un de ces musiciens sacrifiés par l’après-guerre en France, parce qu’il était l’un des représentants d’une école de composition qui n’a pas cédé aux impératifs sérialistes dont nous parlions plus haut. Mais peu importe, car il a continué son bonhomme de chemin avant de nous quitter l’année dernière au terme d’une carrière bien remplie et somme toute glorieuse. Damase était le fils de la harpiste Micheline Kahn, qui fut comme lui une pédagogue importante à l’Ecole Normale de Musique. Damase fut aussi Directeur, un excellent directeur d’ailleurs, du Conservatoire National de Région de Boulogne-Billancourt dans les années 60. En tant que pianiste — il était un splendide instrumentiste —, Damase nous laisse des enregistrements devenus classiques, consacrés aux Barcarolles et Nocturnes de Fauré, qui sont tous aujourd’hui disponibles et de la musique de chambre. Cet autre couplage reprend une sélection de Nocturnes couplés avec les Valses de Ravel, le Prélude en la mineur et le Menuet sur le nom de Haydn. Compte tenu du désordre qui règne dans ses rééditions officielles et officieuses, on vous conseillera de tout écouter et de bien regarder le track-listing.

Du côté du compositeur Jean-Miche Damase, on regrettera d’abord qu’aucun de ses ouvrages lyriques ne soit encore disponible. En revanche, sa musique de chambre, sa musique pour piano, ses Sonates pour flûte et harpe le sont. Ne pas oublier sa Sonate pour flûte, ici interprétée par le grand Christian Lardé !

Gilbert Bécaud, compositeur d’opéra

Il est assez difficile de comprendre pourquoi la version de la création de l’Opéra d’Aran de Gilbert Bécaud a mis tant de temps à nous revenir. Sans doute pour une histoire de droits, et comme elle a été enregistrée en 1962, elle n’a été libérée que tout récemment au titre du Domaine Public. C’est vraiment l’une des choses les plus intéressantes que nous rend accessible la collection sonore de la BNF, en mono, dans un son non remasterisé mais aux oreilles de votre vieille Tante Hannah, tout à fait satisfaisant.

Marlène Dietrich à la Première de l'Opéra d'Aran, en 1962

© Jean-Claude Mallinjod / INAC’est Georges Prêtre, et oui, Georges Prêtre, qui assura la création de l’œuvre au Théâtre des Champs-Elysées le 25 octobre 1962, et dirigea cet enregistrement dont la distribution est identique à celle de la création. Excusez du peu : Rosanna Carteri (Maureen) Agnès Disney (Mara), Alvino Misciano (Angelo) Peter Gottlieb (Mickey), Frank Schooten (Sean), Louis Maurin (Mac Jorry), Roger Soyer (Mac Creagh) Henri Médus (Le curé) Michel Llado (L'Homme à la harpe).

L’opéra est construit en deux actes et sept tableaux sur un livret de Pierre Delanoé, Louis Amade et Jacques Emmanuel qui furent des compagnons de route réguliers de Bécaud au cours de sa carrière de chanteur. Ecoutez cet Opéra d’Aran pour enfin juger si le souvenir excellent qu’il a laissé est fondé ou non. C’est un opéra, un vrai opéra, d’une belle écriture orchestrale, riche et savante, avec un ressort dramatique efficace et des rôles splendidement écrits pour les voix. Pas de doute, Gilbert Bécaud fut peut-être, au Panthéon de la chanson française, l’un des artistes les plus surprenants.

À noter qu’une autre version plus récente de l’œuvre a été enregistrée, indisponible. Elle a été réalisée en 1992 et on en trouve des copies en occasion. Sous la baguette de Raymond Bernard-Cohen, on y retrouve Suzanne Sarroca, André Turp, Roger Soyer (déjà dans l’enregistrement d’origine) et Claude Meloni.

Vous pouvez consulter et même télécharger le programme de la création sur le site des archives du Théâtre des Champs-Elysées.

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Les petites actualités des Vieux Sequins

Quatuor Parrenin : du neuf !

On a parlé dans la dernière édition de cette rubrique du Quatuor Parrenin. La bonne nouvelle, c’est qu’il n’a guère fallu attendre : beaucoup des enregistrements de cet ensemble réapparaissent en ce moment sur Qobuz, qui n’étaient plus disponibles ! Ne les manquez pas !

Léon Zitrone aimait Bach, la preuve !

Nous en tenons la preuve. Jugez par vous même !

Anneliese Schmidt de Neveu

Lorsque nous avons évoqué et indexé comme Vieux Sequin l'enregistrement retrouvé des Suites de Bach par Anneliese Schmidt de Neveu, son album des Sonates pour violoncelle et piano de Brahms n'était pas encore revenu. Il l'est à-présent. À noter que Anneliese est également présente dans d'autres albums en collaboration.

Jacqueline Eymar

On vous avait signalé ses enregistrements consacrés à Georges Migot. Et bien ! Voici que sont réédités par Brilliant (patience... disponible le 1er mai prochain...) son intégrale des Quatuors et Quintettes de Fauré ! Pas rien ! Et on met du coup et tant qu'on y est un Vieux Sequin à son disque César Franck de 1954, magnifique.

Wanted ! Les Chœurs Raymond Saint-Paul

On n'arrive pas à trouver des informations concernant ce Raymond Saint-Paul là, et ses chœurs, qu'on a pu entendre dans tant d'enregistrements des années 50, et dont nous mentionnons la participation à la Chanson du Mal-Aimé de Beaudelaire/Léo Ferré réédité il y a peu, et sequinisé.. Un lecteur de cette chronique aurait-il des révélations à nous faire à propos de Raymond ? Sa vie, sa photo ?

Vega, Claude (pas les disques...)

Désopilant Claude Véga, imitateur génial et drôlissime !

On vous recommande ce Vieux Sequin-là, avec sa recréation de la Callas restée légendaire, mais aussi Juliette Gréco, Jean Richard, Jacqueline Maillan... et Zozo Jeanmaire !