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Vic Chesnutt

Avec lui, rarement le son n’a été aussi en phase avec l’image… Il suffisait de regarder Vic Chesnutt, affalé de biais au fond de son fauteuil roulant d’occase, peigné comme un dessous de bras ou coiffé d’un bonnet de laine trop grand, d’un chapeau déformé ou d’une chapka XXL, visage émacié de Christ fatigué, une pauvre ficelle en guise de sangle de guitare, pour imaginer que la petite musique inouïe émanant du cerveau du songwriter d’Athens n’était guère la B.O. d’une allègre kermesse de province. Et pourtant…


Celui qui s’est définitivement éclipsé l’après-midi de Noël 2009, en s’enfilant toute la boite à pharmacie, parait sa mélancolie d’un voile de cynisme ou d’un léger brouillard d’ironie comme seuls les grands poètes de la musique binaire savent le faire. Ce rire jaune, Chesnutt s’est construit dessus. Ou s’est plutôt accoudé contre. Lui né dépressif dans le Sud, le vrai, là où le Ku Klux Klan, le vrai, n’est pas une image sépia dans un antique album photos mais bien une réalité (son grand-père portait la cagoule blanche et pointue), lui le malingre d’une famille très middle-class, souffre-douleur des rednecks du coin fut souvent sauvé par cet humour. Refuges classiques de celui qui enquille, depuis sa plus tendre enfance, les bites au cirage sans broncher, les disques, les livres, la poésie et la peinture deviennent l’unique raison d’être du bonhomme qui se greffe un peu plus, jour après jour, une guitare au bout des doigts. Des balises artistiques devenues son oxygène, même lorsque sa vie ne sera plus la même, ce fameux lundi de Pâques où, roulant bourré et défoncé, Chesnutt alors âgé de 18 ans sort de la route pour finir définitivement cloué, quadraplégique, dans un fauteuil roulant. Mais cette nouvelle trottinette ne semble guère atterrer davantage notre grand dépressif sudiste pour qui l’essentiel – son cerveau – restera sauf !


Le vrai carambolage aura en fait lieu bien plus tard, au 40 Watt, sorte de CBGB’s d’Athens, où un certain Michael Stipe, hypnotisé, entend Vic Chesnutt. Une fois de plus passablement torché, il ne reconnait pas le couineur de R.E.M. La suite est connue : Stipe coache son poulain déglingué mais ne l’embarque en studio que quelques années plus tard lorsqu’il le sent prêt à graver son premier album qui sort en 1990, le bien sombre Little, suivi un an plus tard par le tout aussi anthracite West Of Rome, totalement arrangé, lui, par l’auguste protecteur. Ces deux disques, sans aucun doute les plus austères de leur auteur, le propulsent immédiatement dans la galaxie des nouveaux Dylan du folk tuberculeux et de l’Americana neurasthénique. Rapidement et d’ailleurs jusqu’au bout, Vic Chesnutt aura l’intelligence de faire évoluer son art. De déhancher sa plume. Et même d’oser des collaborations inattendues.


C’est le même songwriter qui embarquera Kurt Wagner de Lambchop derrière lui en 1998 sur The Salesman And Bernadette puis, en 2005, sur Ghetto Bells, un binôme improbable composé du guitariste impressionniste de jazz Bill Frisell et du savant fou de la pop Van Dyke Parks ! Chesnutt est en fait un véritable aimant. Et la tournure de ses chansons fascine tous ceux qui tendent l’oreille. En 1996, l’album Sweet Relief II : Gravity Of The Situation, disque caritatif au profit de la fondation Sweet Relief qui vient en aide aux musiciens malades, incapables de régler les aditions salées du système médical américain, est consacré à son art, relu pour l’occasion par un casting impressionnant et éclectique qui réunit Garbage, les Smashing Pumpkins, évidemment R.E.M., Nanci Griffith, Soul Asylum, Sparklehorse, Kristin Hersh, Victoria Williams mais aussi Madonna ! Comme qui aurait pu prédire que Chesnutt s’amuserait à inviter, il a deux ans, sur son album North Star Deserter, les savants psychés frappadingues de Thee Silver Mt. Zion et Godspeed You! Black Emperor. Même Bob Mould et Jonathan Richman comploteront avec le génial éclopé d’Athens…


Mais cette richesse dans les rencontres et dans l’incontinence (une quinzaine d’albums au compteur) ne pouvait masquer les tentatives de suicide qui jalonneront son parcours. Ni les tracas financiers liés à son état de santé. Ni même ses tangos fougueux avec alcool et stupéfiants. Et encore moins cette permanente chape de plomb dépressive qu’il hume frénétiquement, comme un doudou de nourrisson… On ne saura jamais réellement qui était ce type écorché, assez génial, capable de chanter au fusain, à la craie ou à la mine grasse, selon sa propre météo. Cet exhibitionniste du désespoir qui ne fit que tendre des miroirs à qui voulait l’entendre. On lui trouva la bouche de Dylan, le menton de Cohen, ou la pommette de Stipe, mais Chesnutt ne ressemblait qu’à lui-même. Quelques années, à peine, devraient suffire pour qu’on réalise cela… © Marc Zisman pour Rock & Folk (2009)

Discographie

20 album(s) • Trié par Meilleures ventes

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