Yevgeny Sudbin était le vendredi 8 août au Festival de Menton. Rencontre exclusive avec Qobuz.

Yevgeny Sudbin, un nom à retenir, qui se fait rare sur la scène française et pourtant. À chaque concert c’est la même surprise, le public retient son souffle à la fin des morceaux, comme pour prolonger un peu plus le moment de grâce auquel il vient d’assister. Le pianiste est humble et discret lorsqu’il passe entre les rangs, se découvre pourtant calmement lorsqu’il s’agit de raconter. Parler de sa carrière, sa vision de la vie d’artiste ou de ses autres passions. Qobuz a eu la chance de le rencontrer lors du Festival de Menton, après son concert complet le vendredi 8 août au moderne Musée Cocteau. Voici la traduction française de cet entretien mené en anglais.

P : Merci de prendre le temps de répondre à nos questions. Avec le 14ème CD que vous avez enregistrez, est-ce que vous considérez le disque comme une part essentielle de votre travail de musicien ?

YS : Cela fait déjà 14 ! Wow ! Le temps passe tellement vite. Cela fait maintenant 10 ans que j’enregistre pour BIS et cela a toujours été très important pour moi. C’est vraiment différent que de jouer en concert car cela me donne l’occasion de ne pas être distrait par l’environnement lorsque j’enregistre. C’est un travail de concentration qui me donne la chance de donner plus dans la performance, ce qui n’est pas forcément évident sur scène. En concert, il y a l’adrénaline, le public, l’atmosphère du direct, tout cela est vraiment très excitent. Mais si l’on enregistre un concert, tous les éléments ne ressortent pas toujours. En studio, je peux aller un cran, voir deux crans plus haut dans la recherche de l’interprétation et apporter encore plus de détails à mon travail. C’est juste une forme d’art différente en fin de compte ! Jouer en concert et enregistrer sont deux choses différentes que j’apprécie tout autant. Je ne peux pas dire qu’une est meilleure que l’autre, entre autre, jouer en concert permet de payer les factures ! Et cela me donne beaucoup de plaisir aussi …

P : Au public également ! (le public d’après concert était ébahit par la pureté du son de Yevgeny)

YS : Mais ma remarque est quelque peu égoïste en fait ! Certes les concerts sont quelque chose que j’ai toujours fait, mais je pense d’un point de vue artistique. L’enregistrement a beaucoup de qualités qui ne se reflètent pas toujours en concert. J’ai envie de faire tellement plus lorsque j’enregistre ! Je ne dis pas que je joue mieux ou moins bien en enregistrant, mais que l’on peut se concentrer sur l’essence pure de la musique sans être distrait. Alors j’espère pouvoir faire cela pendant encore longtemps car c’est une chose très importante !

P : Quel est le prochain CD en cours ?

YS : Deux CD vont bientôt paraître. Un est l’enregistrement du 3ème concerto de Medtner et du concerto pour piano de Scriabin. Celui de Medtner viendra compléter le cycle des 3 concertos que j’aurai ainsi tous immortalisé. À la baguette Andrew Litto avec l’orchestre Philharmonique de Bergen, tous deux d’excellents. Nous avons eu des difficultés pour l’enregistrement du Medtner car c’est une pièce vraiment difficile, un des plus durs concertos que j’ai joué. Les trois relèvent de la même difficulté, c’est un véritable challenge ! Mais c’est une musique tellement belle et que j’adore profondément. Scriabin également, c’est un de mes compositeurs préférés ; à jouer sur scène ou à enregistrer c’est juste fantastique. L’autre CD concerne de la musique pour piano seul de Rachmaninov et Medtner. Il sortira dans quelques mois aussi. La musique de Rachmaninov m’inspire aussi énormément. Pour qui n’est-ce pas le cas d’ailleurs ? Concernant Medtner, c’est un compositeur extraordinaire, sous-estimé et peu joué mais un réel géni d’après moi. Il a une écriture pour piano propre à lui-même. Pour revenir aux enregistrements, je vais également compléter un cycle Beethoven. Vous avez surement entendu parler des difficultés de l’Orchestre du Minnesota et donc je vais devoir jouer avec un autre orchestre, le Tapiola Sinfonietta pour le 1er et 2ème concertos.

Yevgeny Sudbin plays Rachmaninov Prelude in G major Op. 32 No. 5

Yevgeny Sudbin

P : Avez-vous déjà joué avec cet orchestre ?

YS : Non, cet automne sera une première. Quelle chance !

P : Parler de Medtner était ma question suivante. Les fans sont très heureux que vous enregistriez autant de ses œuvres ! YS : Oui je pense qu’une fois que l’on comprend son langage, on en devient obsédé et accro. C’est incroyable. Cependant, il faut écouter sa musique de nombreuses fois et à répétition. Certains morceaux se révèlent naturellement, comme les Fairytales qui seront sur le nouveau CD.

P : Ce sont mes moreaux préférés !

YS : Effectivement c’est un merveilleux compositeur. Et plus on en écoute, plus on a envie d’en découvrir. En ce qui concerne les concertos, je pense que le 1er est le plus accessible, mais le 2ème est également génial, plus varié. Le 3ème concerto est vraiment difficile, à la fois à écouter et à jouer. Compliqué mais magnifique, je pense.

P : Vous avez eu une éducation musicale à la fois russe, allemande et anglaise. Pensez-vous qu’il existe encore ce qu’on peut appeler les écoles nationales dans le domaine de la musique classique ?

YS : Je ne pense pas. Lorsque l’on me demande de quel type d’école je viens justement, je ne peux pas répondre. Tout est tellement international aujourd’hui qu’il est difficile de dire que c’est plutôt un style russe, allemand ou même allemand. Bien sur les pianistes peuvent être d’origines russes, mais on ne pourra pas les catégoriser dans un style russe justement, car il faudrait d’abord pouvoir définir ce genre de style ! Peut-être la tradition d’une longue préparation correspond à l’esprit russe, je ne sais pas. Ou au contraire très peu peut-être ?

P : Aujourd’hui on assiste à une uniformisation c’est vrai.

YS : C’est très international oui. Les professeurs russes se trouvent à travers tous les continents instruisant des étudiants internationaux. Alors on peut trouver un pianiste canadien qui joue plus russe qu’un pianiste russe en Russie.

P : Si vous aviez été musicien mais sans être pianiste, quel instrument auriez-vous choisi ?

YS : Je suppose que je ne peux vraiment pas m’imaginer en tant que violoniste, je serais très mauvais.

P : Pourquoi donc ?

YS : L’instrument ne me correspondrait vraiment pas, c’est comme le violoncelle. Mes deux parents étaient pianistes, le piano était une évidence. En fin de compte je pense que je ferai un métier complètement différent de la musique.

Yevgeny Sudbin - © C.Merle

P : Comme être photographe professionnel ?

YS : Oui tout à fait ! J’adore la photographie même si cela reste une passion extérieure. C’est une activité complémentaire pour moi à côté des concerts. Je pourrais aussi le dire à propos du fait d’enregistrer des CD. La seule chose qui me dérange à jouer sur scène, c’est l’instantanéité. Ce n’est pas quelque chose qui est sensée perdurer. Un enregistrement reste gravé pour toujours. C’est comme une empreinte laissée pour l’éternité. C’est pour cela que j’adore ça ! Tout comme prendre des photos, cela capture le moment. Au contraire, le concert a une fin et celle-ci me rend triste… Le moment était beau et doit maintenant se terminer.

P : Vous aimez alimenter votre inspiration grâce à d’autres arts ?

YS : Cela me permet de relativiser par rapport à mon métier.

P : Relativiser ?

YS : Vous savez, lors que je regarde mes anciennes photos, je pense parfois qu’il y a tellement de choses à côté desquelles je peux passer dans ma vie ou que je n’ai pas faites correctement, sur lesquelles je ne me suis pas assez attardées. Je passe d’un endroit à l’autre tellement vite que parfois, qu’il manque ce moment pour s’arrêter et se recentrer. C’est pour cela que je m’imagine à la fin de ma vie, assis à contempler mes photos simplement pour prendre le temps de réfléchir et de repenser aux événements passés et à l’émotion qu’elle dégage. La photo me donne ce plaisir, de pouvoir me replonger dans un souvenir précis.

P : C’est important effectivement. Vous avez un moment Off avant votre prochain concert dans le sud de la France à Orange le 24 août.

YS : Tout à fait et ce n’est pas de refus. Les derniers temps ont été très remplis de par les enregistrements et la préparation des prochains concerts. Il faut que je travaille de nouveau concertos à jouer avec orchestre !

P : Vous n’aurez donc pas le temps pour profiter du soleil et de la mer ?

Ys : Non, cela n’arrive pas souvent. Je prends quelques minutes par ci par là, ou quelques photos pour m’en souvenir plus tard.

P : Merci pour votre temps.

Ys : Avec plaisir !

Retrouvez Yevgeny Sudbin

Le Site du Festival de Menton

00:00 00:00