Depuis quelques années, l'œuvre du Polonais Karol Szymanowski suscite l'intérêt de nombreux chefs d’orchestre, solistes et chanteurs de renom. Qobuz vous propose un portrait du compositeur, ainsi qu'une promenade au sein des nombreuses pépites de sa discographie.

Chef de file de la musique polonaise durant la première moitié du XXe siècle, Karol Maciej Szymanowski vit le jour le 3 octobre 1882 à Tymoszówka dans une famille de propriétaires terriens où la musique occupait de longue date une place de choix. Son père, Stanisław Korwin-Szymanowski, était en effet un remarquable violoncelliste et pianiste, tandis que sa mère, Anna Taube, se dédiait avec beaucoup de talent au piano. Favorisée par ce contexte, l’éclosion de ses dons musicaux ne tarda guère et l’enfant fit ses premiers pas au clavier sous la conduite de son père. Conscient des exceptionnelles dispositions de son fils, Stanisław le confia en 1889 à son cousin Gustav Neuhaus, directeur d’une école de musique à Elisavetgrad. Les années pendant lesquelles ce dernier eut en charge l’éducation de Karol laissèrent une empreinte durable sur le jeune artiste. Grâce à Neuhaus, Szymanowski étudia en effet les grands classiques, mais également Chopin et Scriabine, deux modèles qui guidèrent ses débuts de créateur comme l’attestent, entre autres, les Préludes op. 1 pour piano (1900). Autre découverte essentielle, au cours d’un voyage à Vienne en 1895, l’adolescent assista à une représentation de Lohengrin. Immédiatement conquis par les sortilèges wagnériens, il se plongea sans tarder dans les partitions du maître de Bayreuth, dont les richesses l’aidaient par ailleurs à oublier la vie musicale bien terne d’Elisavetgrad.

L’engagement de Szymanowski dans une carrière de compositeur ne faisait désormais plus le moindre doute et, en 1901, son père l’autorisa à entreprendre des études privées à Varsovie auprès de Zawirski (harmonie) et de Noskowski (contrepoint et composition). Outre ce qu’il tira de leur enseignement, Varsovie permit au musicien de faire la connaissance d’interprètes dont la fidélité dans l’amitié n’eut d’égal que l’ardeur avec laquelle ils défendirent les partitions de Szymanowski : le violoniste Pawel Kochański, le pianiste Arthur Rubinstein et le chef d’orchestre Grzegorz Fitelberg. À Varsovie aussi, l’activité musicale manquait d’éclat et c’est pourquoi Szymanowski s’associa à Fitelberg, Ludomir Różycki et Apolinary Szeluto, deux élèves de Noskowski, pour fonder le groupe ‘Młoda Polska’ (La jeune musique polonaise) dont le premier concert, en 1906, remporta un franc succès, mais qui se vit reprocher par la suite sa trop grande ouverture à la musique allemande. Il est vrai que celle-ci attirait puissamment Szymanowski, chez qui l’influence de Richard Strauss et de Max Reger s’ajoutait désormais à celle de Richard Wagner. Dominée par la culture allemande, la première période de la carrière du compositeur allait cependant bientôt prendre fin. En 1910, puis en 1911 Szymanowski se rendit en Italie et en Sicile et s’enthousiasma pour une terre ivre de couleurs et de lumière : « Si l’Italie n’existait pas, je n’existerais pas non plus (....) », s’exclama-t-il dans une lettre à son ami Zdzisław Jachimecki.

Pour des raisons financières — l’artiste fut sa vie durant en proie aux ennuis pécuniaires —, Szymanowski n’entreprit pas d’important voyage en 1912-1913, années toutefois très importantes car c’est à ce moment qu’il entra en contact avec l’art de Stravinski lors d’une représentation de Petrouchka à Vienne par les Ballets Russes de Diaghilev. L’impression énorme que le musicien russe produisit sur Szymanowski acheva de rompre le lien chaque jour plus ténu qui le rattachait encore à la musique allemande. Cédant à l’appel du sud, le compositeur polonais entreprit en 1914, l’une de ses années les plus heureuses sans doute, un grand voyage qui lui permit de retrouver son Italie bien-aimée, mais qui le conduisit aussi en Afrique du Nord, point de départ d’une véritable fascination pour le monde arabe et pour l’Orient. L’année 1914 le vit par ailleurs en France où il entra en contact avec Debussy et Ravel — deux rencontres décisives dans l’évolution de son esthétique. Les nuages s’amoncelaient au-dessus de l’Europe... Bientôt la guerre éclata, laissant Szymanowski loin de ses atrocités. Les séquelles d’une blessure au genou, survenue en 1886, lui évitèrent en effet d’endosser l’uniforme et il vécut calmement à Tymoszówka jusqu’en 1917, quand la révolution bolchévique l’obligea à abandonner la propriété familiale pour s’installer à Elisavetgrad.

C’est durant la période du premier conflit mondial que les impressions de voyage dont l’artiste était empli — « Chaque fois que je mettais la main sur mes souvenirs d’Afrique ou de Sicile, l’émotion m’étouffait », confia-t-il se souvenant de cette période — portèrent leurs fruits dans des chefs-d’œuvre tels que le Concerto pour violon nº 1 (1916), la Symphonie nº 3 “Le Chant de la nuit” (1916), les Métopes (1915) et Masques (1916) pour piano, les Mythes pour violon et piano (1915) ou le Muezzin passionné (1918), partition brûlante de désir.

La dimension érotique est très présente dans l’opéra Le Roi Roger, que Szymanowski entama en 1918. Travail de longue haleine, l’ouvrage lyrique du maître polonais parvint à son terme en 1924 seulement et fut représenté pour la première fois en 1926 à Varsovie. Stylistiquement très homogène, il se rattache par son langage aux partitions écrites pendant la guerre, tout en se révélant aussi tributaire de l’exemple wagnérien dans sa construction. Le contraste apparaissait très prononcé avec les autres œuvres que Szymanowski avait fait entendre depuis 1920 environ et qui traduisaient un changement d’orientation radical. Dans une Pologne libérée du joug russe, le musicien découvrait les racines populaires de son art — «Je suis en train de cristalliser en moi les éléments de l’héritage tribal», affirmait-il. Les Mazurkas op. 50 (1925), le Stabat Mater (1925), les Chants Kurpiens (1929), le ballet-pantomime Harnasie (1931), les Litanies à la Vierge (1933) ou la Symphonie nº 4 “Symphonie concertante” pour piano et orchestre (1932) l’illustrent.

Nommé directeur du Conservatoire de Varsovie en 1926, Szymanowski ne tirait que d’assez maigres revenus de cette activité épuisante et sa situation matérielle demeurait très précaire. « Ma vie n’est faite que de chagrin, de malheur, de maladie et de travail », confiait-il d’ailleurs en 1933 à Iwaszkiewicz. Aux ennuis d’argent s’ajoutait en effet une tuberculose qui chaque jour l’affaiblissait un peu plus. La frustration de ne pas être reconnu à sa juste valeur dans un pays auquel il se sentait viscéralement attaché – en dépit de quelques honneurs (ex: docteur Honoris causa de l’Université de Cracovie en 1930) – lui pesait beaucoup également. L’abus de tabac, d’alcool, de drogue appartenait désormais à son quotidien...

Travail de longue haleine, l’élaboration du “balletpantomime” Harnasie commença en 1923, au début donc de la période « folklorisante » de l’artiste, et ne s’acheva qu’en 1931. « Vous me demandez pourquoi j’ai choisi un thème rural... C’est à cause de mon attachement profond envers les gens de la région de Podhale qui est pour moi comme une seconde patrie. Certains aspects culturels du monde paysan étant menacés d’extinction, nous, artistes, avons le devoir de les préserver pour la postérité », déclara Szymanowski en 1935 lorsqu’on l’interrogea au sujet des motifs qui l’avaient incité à entreprendre la composition de Harnasie. L’élaboration de cette dernière partition scénique du musicien polonais avait débuté à partir d’une suggestion de Jarosław Iwaszkiewicz et Jerzy Mieczysław Rytard —les auteurs de l’argument —, bientôt suivie d’une commande d’Emil Mlynarski, de l’Opéra de Varsovie. La version définitive de l’ouvrage présente bien des différences avec le projet initial du musicien. En 1923, Szymanowski s’était en effet lancé dans la composition d’un mariage goral (le folklore goral est celui de la région des Tatras) qu’il envisageait en une seule partie. Finalement la nécessité lui apparut d’adopter une structure plus complexe : Prélude (Scène rurale) - Tableau n° 1 (deux scènes mimées) - Tableau n° 2 (Le mariage, Chanson à boire, Entrée des Harnasie; Danse) - Epilogue (Dans les montagnes), que les spectateurs découvrirent pour la première fois à Prague le 11 mai 1935. Situé dans la région montagneuse des Tatras, Harnasie conte les mésaventures d’une jeune fille contrainte d’épouser un fermier aussi riche et laid qui ne lui plaît aucunement. Par chance, Harnás, chef des brigands, intervient avec ses compères, les Harnasie, et enlève la jeune fille qui s’éprend de lui et décide de devenir sa compagne.

Si les thèmes d’origine folklorique sont omniprésents dans l’Opus 35, ce dernier, parce que sa composition démarra au tout début de la dernière période du musicien, conserve certaines attaches avec le style impressionniste des années précédentes. Extrêmement fouillée et colorée, l’orchestration témoigne d’une richesse qui, alliée à la rusticité des motifs, parvient à un résultat éblouissant de relief et très suggestif. Szymanowski se refusait à une « transposition mécanique » des mélodies populaires. Dans Harnasie, il parvient à les transcender avec une science poétique rare. Le pantomime ne lui était cependant pas un genre inconnu quand, en 1923, il entreprit ce chef-d’œuvre. Trois ans auparavant en effet, il avait signé Mandragora, une partition représentée à Varsovie le 15 juin 1920. Sur un livret de Ryszard Bolesławski et Leon Schiller, d’après Molière, l’ouvrage était initialement destiné à être inséré dans le troisième acte du Bourgeois gentilhomme. Il se présente sous la forme d’un intermezzo en trois scènes, pétri de l’esprit de la « commedia dell’arte », où l’on ne manquera pas de relever l’influence de Stravinski dont le ballet Petrouchka avait, on s’en souvient, conquis Szymanowski sept ans plus tôt.

Début 1937, Szymanowski partit se faire soigner en France. « Avant un de mes concerts, au Casino de Cannes », se souvenait Arthur Rubinstein, « j’eus l’occasion d’aller voir mon pauvre Karol, qui était alité dans une clinique de Grasse. C’était désespérant de le voir ainsi délabré. Il avait perdu sa voix, ne pouvait plus que murmurer ( ... ) “je pensais que je ne le reverrais plus jamais”, ajoute-t-il plus loin ». Juste pressentiment. Szymanowski était installé depuis peu dans une clinique de Lausanne quand, le 29 mars 1937, la mort l’emporta. L’Etat polonais lui organisa des funérailles officielles et, insulte suprême, lors du retour de sa dépouille à Varsovie, demanda à ce que le train fasse halte à Berlin afin que l’Allemagne nazie lui rende les honneurs militaires.

Frédéric Castello

© Naxos 2009 — Reproduction interdite

(Texte reproduit avec l’aimable autorisation de l’éditeur)

DISCOGRAPHIE

La discographie des œuvres de Szymanowski a été marquée ces dernières années par les diverses réalisations de Sir Simon Rattle à la tête du City of Birmingham Symphony Orchestra, réunies récemment en un coffret), également disponibles sur Qobuz dans leur version originale, et du chef polonais Antoni Wit chez Naxos. Ce label a toujours défendu ardemment la musique du Polonais, tout d'abord en confiant à Karol Stryja de nombreux enregistrements, et donc aujourd'hui à Antoni Wit, l'un des grands chefs polonais actuels, animateur incroyable de la musique dans son pays natal. Ainsi, chez Naxos, retrouve-t-on deux visions différentes des grandes pages de Szymanowski : Harnasie, Concertos pour violon etc.

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Disponibles sur Qobuz

Harnasie, Mandragora, Prince Potemkin (Musique de scène, Acte V) CLASSIQUE - PARU février 2009 – NAXOS – 5,99 € Orchestre Philharmonique de Varsovie, Antoni Wit Voir le détail de l'album

Quatuors à cordes CLASSIQUE - PARU janvier 2009 – HYPERION – 9,99 € Royal String Quartet Voir le détail de l'album

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