L'opéra a toujours généré des rêves un peu fous ; il faut dire que c'est le siège de toutes les fantasmagories, bien avant l'invention du cinéma qui a pris en quelque sorte le relais de ce qu'était l'art lyrique dans les siècles précédents. Avant le grand écran, c'est la scène lyrique qui était le réceptacle de tous les songes et de toutes les atrocités, meurtres, tortures, dénonciations, trahisons ou empoisonnements. Si l'opéra est à la mode de nos jours encore, c'est d'abord la musique qui fait accourir le public, alors que l'histoire, autrefois primordiale, est passée au second plan quand elle n'est pas purement et simplement ignorée. Le seul dénominateur commun entre les amateurs d'hier et ceux d'aujourd'hui c'est la passion pour les chanteurs, ces divas, ou ces divi, que l'on va entendre souvent pour eux-mêmes, indépendamment de l'ouvrage qu'ils chantent. Bien sûr il n'y a plus de castrats, mais les falsettistes (contre-ténors, altos masculins) dont l'engouement va crescendo les ont remplacés. Exit Messieurs Senesino, Cafarelli, Farinelli, Guadagni ou Rauzzini dont il ne reste que le souvenir fantasmé et place à Messieurs Jaroussky, Cencic, Mehta, Lesne, Ledroit, Daniels, et autres Bowman. Quant aux cantatrices, elles font se pâmer les beaux esprits qui s'échauffent au seul nom de la Bartoli, pour ne citer qu'un exemple particulièrement célèbre aujourd'hui.

Si l'opéra est le monde du crime et de la perversion, donc des adultes, c'est aussi le domaine des enfants puisque de nombreux ouvrages s'adressent à eux, depuis Bastien et Bastienne qui est d'ailleurs plus un opéra d'enfant (Mozart avait 12 ans) qu'un opéra pour enfants et fruit d'une commande privée du célèbre magnétiseur Franz-Anton Mesmer pour le jouer dans son salon. Mozart devenu adulte lui rendra d'ailleurs hommage plus tard, dans son Cosi fan tutte, dans une scène pleine d'humour et qui montre le magnétisme sous un angle particulièrement cocasse. Quant à la Flûte enchantée, c'est tout le miracle de Mozart d'écrire, avec son ami Schikaneder, une féerie qui comble les enfants et qui est en même temps l'illustration maçonnique d'un combat de la lumière contre la nuit, dont les illusions et les tromperies permettent l'instauration d'un ordre nouveau (photo ci-dessus, décor de la création en 1791).

Mais c'est surtout le 20e siècle qui a commencé à s'intéresser vraiment à la personnalité de l'enfant. Combien sont-ils à avoir été émus (et le soussigné en fait évidemment partie) par la révolte des objets et des animaux et par l'apparition de la princesse en écoutant L'Enfant et les sortilèges de Maurice Ravel. Aux Etats-Unis, c'est Gian Carlo Menotti qui compose son touchant Amahl et les visiteurs de la nuit, écrit pour la télévision et diffusé le soir de Noël 1951 ou, en 1968, son Help, Help the Globolinks ! (Au secours ! Au secours ! les Globolinks), opéra de science fiction qui décrit l'invasion d'extra-terrestres. En 1949, Benjamin Britten avait composé The Little Sweep (Le Petit Ramoneur) qu'il a rallongé par la suite pour en faire un divertissement, Let's Make an Opera (Faisons un opéra) qui puisse servir à familiariser les enfants à l'opéra. En Italie, Nino Rota, compositeur de musiques de films restées célèbres (La Dolce vita, Rocco et ses frères, Huit et demi, Le Guépard, Satyricon, Les Clowns), écrit lui aussi un opéra pour enfants, Aladin ou la lampe merveilleuse pour le San Carlo de Naples, en 1968.

En France aujourd'hui les théâtres font tout pour préparer le public de demain en sensibilisant le jeune public. Certains n'hésitent pas à commander des oeuvres spécialement conçues pour les enfants. Fer de lance de ce genre d'entreprise, la compositrice Isabelle Aboulker qui a sept opéras pour enfants à son catalogue, dont Le Petit Poucet, Douce et Barbe-Bleue, Cendrillon, Lascaux, la grotte aux enfants ou encore Achtafalaya. On lui doit aussi l'histoire d'Antoinette la poule savante, un conte musical qui est "une façon très douce d'accéder à un nouvel univers linguistique".

Dernier opéra en date, ce Robert le cochon et les kidnappeurs (photo ci-dessus) dont la musique est signée de Marc-Olivier Dupin, sur un livret d'Ivan Grinberg. La création est prévue à l'Opéra-Comique de Paris le 13 juin prochain (jusqu'au 15) avec une distribution de grandes personnes très sérieuses (Marc Mauillon, Donatienne Michel-Dansac) sous la direction de Jean-François Heisser.

Comme toujours à l'Opéra-Comique, il y aura toute une série d'animations autour de cette production. Mais cette fois, et c'est normal, ce sont les enfants qui y seront conviés. Au cours de cette "pyjama party", ils pourront même passer une nuit à l'opéra (sans les Marx Brothers !). Au programme : pique-nique dans le théâtre, visites des lieux «cachés» de l’Opéra Comique, accès à la répétition du soir, rencontre avec les artistes, découverte des décors. Vers minuit, tout le monde au lit dans la Salle Bizet ! Sans oublier l’histoire du soir racontée par Ivan Grinberg… et le petit déjeuner ! Une façon à la fois ludique et didactique de se familiariser au théâtre, à l’oeuvre et de rencontrer les artistes de ce spectacle.

Comme l'a écrit Luc, 10 ans, dans son journal de classe "L'opéra c'est même mieux que le cinéma !".