Vous les avez peut-être vus dans les rues de Paris ou dans les couloirs du métro, ils sont sept garnements habillés en costume du XVIIIe siècle. Assis sur un banc, prêts à faire mille facéties, ils portent une tenue identique à celle de Mozart, perruque poudrée impeccable, pantalon de satin doré, bas blanc, chaussures à boucles, veste rouge coquelicot pétant. Ces sept gamins, photographiés à Vienne en 1987, appartiennent au Mozart Knabenchor (photo ci-dessus). Ils viennent illustrer une des prochaines thématiques de la Cité de la musique autour d'un fantasme qui a la vie dure, la théorie du génie, dont l'emblème incontestable est représenté par Mozart enfant. Mais ce que les organisateurs veulent aussi souligner, à travers concerts, opéras et colloque, c'est que l'art du jeune prodige que fut Mozart est surtout l'art de s'approprier les genres et les codes de son temps, que ce soit dans le champ de l'opéra ou dans celui de la musique instrumentale.

On pourra ainsi découvrir, du 26 février au 8 mars, Mitridate, re di Ponte, un opéra que Mozart écrivit à l'âge de 14 ans et qui faisait l'admiration légitime de son père. Le jeune homme se glisse avec insolence dans la forme éprouvée, pour ne pas dire déjà vieillotte, de l'opera seria pour lui insuffler un vent nouveau et de grands moments d'émotion, comme dans l'air Nel grave tormento, où l'héroïne, Aspasia, est déchirée entre l'amour et le devoir. Emmanuel Krivine et La Chambe Philharmonique seront aussi de la partie en interprétant les tâtonnements du compositeur en herbe, sa première symphonie et son premier concerto pour piano. David Grimal et son ensemble Les Dissonances présenteront les Cinq Concertos pour violon presque tous écrits en 1775. Cette évocation s'achèvera avec l'audition de Apollon et Hyacinthe, opéra d'après les Métamorphoses d'Ovide, composé par un enfant de douze ans à la demande du Collège des Bénédictins de Salzbourg. Une histoire d'amour gay à laquelle le librettiste-bénédictin, Rufinus Widl, a sagement ajouté un personnage féminin pour sauver les convenances d'une époque pourtant assez libre.

Le disque nous permet de compléter cette passionnante programmation. Avec un peu d'imagination et quelques mots clés, vous trouverez sur votre QOBUZ de quoi satisfaire vos besoins de curiosité autour de l'enfance, car l'histoire de la musique n'est pas avare en enfants prodigieux. Felix Mendelssohn fait partie de ceux-là, et la qualité de ses oeuvres étonnent peut-être encore plus que celles de Mozart au même âge. A douze ans il fait l'admiration de Goethe, à seize il a déjà douze Symphonies pour cordes à son actif, sans compter des concertos, des pièces de musique de chambre et un opéra qui brocarde gentiment l'éducation rigoureuse qu'il reçoit de ses parents, à dix-sept il compose ce chef-d'œuvre miraculeux qu'est l'ouverture du Songe d'une nuit d'été. A onze ans, le petit Camille Saint-Saëns fait sensation en jouant le Troisième Concerto de Beethoven et enchante la cour de Louis-Philippe aux Tuileries. Comment dès lors lui en vouloir lorsque, vieil homme, il ne comprendra plus rien aux nouvelles harmonies du Sacre du printemps !

Mais le mythe de l'enfance a été aussi largement célébré par les compositeurs devenus adultes. Que l'on songe seulement aux Enfantines de Moussorgski, aux Scènes d'enfants de Schumann, aux Jeux d'enfants de Bizet, aux contes de Ma Mère l'Oye mis en musique par l'éternel enfant aux multiples sortilèges que fut Maurice Ravel. Quant à Benjamin Britten, son œuvre est entièrement sous-tendue par le thème de l'enfance bafouée que l'on retrouvera tout au long de ses opéras, dont les plus célèbres demeurent, Le Petit-Ramoneur, Peter Grimes, Billy Budd, Le Tour d'écrou et Mort à Venise.

Bach écrivit de la musique didactique pour ses fils et Debussy pour Chouchou, sa fille bien aimée. Quant à Poulenc, il compose L'Histoire de Babar pour ses petits cousins et leurs copains et copines, soit une ribambelle de onze enfants qui reçoivent là un beau cadeau. De nos jours, Isabelle Aboulker écrit de nombreux opéras pour les enfants, qu'il s'agisse de les divertir, Antoinette la poule savante, ou de les instruire, 1918 l'homme qui titubait dans la guerre. Isabelle Fraisse pour sa part à écrit "sur mesure", Le Marché de Thouars pour un très jeune pianiste particulièrement doué et 17/07, une pièce pour piano composée à la fois pour sa petite fille et en hommage à Beethoven, auquel la compositrice voue un véritable culte.

On le voit, l'enfance est une intarissable source d'inspiration pour les créateurs, une longue tradition qui dure et perdure, une fontaine de jouvence à laquelle on a pas fini de s'abreuver.