Sylvie Bouissou signe une monographie dressant un portrait exhaustif de Jean-Philippe Rameau.

Notre artiste n'était pas courtisan, et il ne pouvait pas l'être, se suffisant à lui-même, ne vivant qu'avec son génie, et négligeant jusqu'à la société des Hommes [...] S'il voyait les Grands, c'est lorsqu'ils avaient besoin de lui, et alors, il était avec eux comme avec le commun des hommes ; il songeait à sa besogne et ne les apercevait pas.*

Titulaire de trois premiers prix au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris (analyse, histoire de la musique, musicologie), de cinq premiers prix au Conservatoire national de Région de Versailles (piano, analyse, histoire de la musique, harmonie, contrepoint), et ancienne pensionnaire de l’Académie de France à Rome, Sylvie Bouissou est l'auteur d'une monographie sur Jean-Philippe Rameau, qui parait aux éditions Fayard.

Dans cet ouvrage, toutes les facettes du compositeur sont soigneusement disséquées. Au-delà d'être un musicien et un compositeur hors-pair, Jean-Philippe Rameau est aussi théoricien, pédagogue, chercheur. Dans la lignée des Éclairés de son temps - il est entre autres le collaborateur privilégié de Voltaire, d'Alembert, Diderot - il ne se contente pas de dresser des états de faits, mais il provoque, conteste, choque parfois, et marque de son empreinte l'Histoire de la Musique.

Le volume de l'ouvrage est impressionnant : plus de mille pages parsemées de partitions, d'extraits, de citations illustrant le travail, la personnalité et le caractère de Rameau. Est-ci si conséquent pour présenter la vie d'un homme de cette envergure ? La plume de la directrice de recherche au CNRS aux multiples distinctions rend néanmoins la lecture légère et agréable.

C'est à travers cinq grandes parties qu'elle immerge le lecteur dans la vie de Rameau. Il y a d'abord le jeune Rameau, organiste virtuose débutant sa carrière à l'âge de quinze ans à Dijon, sa ville natale et qui s'achèvera trente-huit ans plus tard. On le suit alors dans les rues parisiennes. Sa réputation d'organiste le contraint à rester cloisonné dans cette case mais il parvient à s'en détacher progressivement en commençant à s'illustrer comme claveciniste. Après s'être essayé à la composition d’œuvres plus conséquentes dans les foires et les théâtres parisiens, il rencontre Alexandre Le Riche de La Pouplinière, un des hommes les plus riches de France. Cette rencontre est tout à fait décisive, puisque La Pouplinière deviendra le mécène de Rameau et se présentera ainsi comme un point d'orgue dans la carrière du compositeur. Le cœur de l'ouvrage couvre les années 1733 à 1744, celles durant lesquelles Rameau signe ses trois opéras les plus célèbres: Hippolyte et Aricie, Les Indes Galantes et Castor et Pollux. Cette période débouche également sur l'entrée du compositeur à la cour de France. Ayant débuté par le biais des Concerts de la reine - Marie Leczinska - dès 1736, Rameau est consacré à Versailles à l'occasion du mariage du Dauphin avec Marie-Joseph de Saxe en mars 1747, évènement qui magnifiera ses Fêtes de l'Amour et de l'Hymen. Mais, bien que ces années marquent l'apogée de sa carrière musicale, c'est aussi la période durant laquelle Rameau se heurte à une série de conflits et de désillusions... Les dernières pages de l'ouvrage dressent le portrait d'un tout autre homme : un Rameau scientifique, pédagogue, auteur du Traité de l'harmonie réduite à ses principes naturels. Le compositeur d'opéras raffinés analyse désormais son art sous le prisme d'une "science physico-mathématique".

Au delà des passages brillamment et consciencieusement détaillés de la vie de Rameau, Sylvie Bouissou nous présente l'homme au milieu de ses contemporains : entre amitiés, échanges et disputes, nous suivons Rameau dans ses relations avec les grands de son temps. Qualifié de colérique par Rousseau, suscitant la jalousie de Voltaire, collaborant avec d'Alembert, admiré et félicité personnellement par le Roi, l'ouvrage donne une vision globale et tissent les affinités entre les personnalités du siècle des Lumières. Alors que la fin du XVIIIe siècle est généralement présentée sous le prisme de ses écrivains, Sylvie Bouissou nous offre à découvrir cette période du point de vue d'un compositeur. Cette démarche permet au lecteur de redécouvrir le temps des Grands Hommes français qui, par passion de la connaissance et des arts, ont révolutionné l'Europe et les modes de pensées.

À travers cet ouvrage extrêmement bien documentée, Sylvie Bouissou a rassemblé les pièces du puzzle de la vie de Jean-Philippe Rameau. Nombre de mélomanes ont découvert l'homme à travers son œuvre. Cette monographie permet au contraire de comprendre l'œuvre de Rameau à travers l'homme qui l'était, un homme considéré comme un des plus grands de son temps.

*Chabanon, Éloge de M. Rameau, Paris, Lambert, 1764, p. 55-56 in Jean-Philippe Rameau, Bouissou, Paris, Fayard, 2014, p. 7