A huit mois de son ouverture, où en est le chantier de la pharaonique Philharmonie de Paris, (très) ambitieux, (très) beau mais (très) coûteux projet ? Quelques indices sur la grande salle de concert parisienne de 2400 places qui ouvrira ses portes à la Villette le 14 janvier prochain.

240 jours. 240 jours seulement, devrait-on ajouter. Dans 240 jours donc, mercredi 14 janvier 2015, à 20h30, Paavo Järvi lèvera sa baguette face à l’Orchestre de Paris pour faire résonner les premières notes de musique au cœur de la Philharmonie de Paris dotée de 2400 fauteuils… La saga Philharmonie arrive donc enfin au dernier chapitre de son premier tome. Un premier tome à rebondissements, mêlant crêpages de chignons et batailles d’Hernani en tous genres mais aussi véritables enjeux assis sur les deniers publics. Si proche de l’accouchement, regardons droit devant en ne pensant qu’à l’avenir, et en mettant entre parenthèses les questions pourtant majeures qu’on citera une dernière fois, histoire de ne pas les perdre totalement de vue. Juste une dernière fois : une salle supplémentaire à Paris est-elle réellement utile ? L’offre « classique » n’est-elle pas déjà saturée dans la capitale ? Les habitués de la Salle Pleyel et du Théâtre des Champs-Élysées oseront-ils s’aventurer dans le XIXe arrondissement qu’ils fantasment un brin coupe-gorge ? Comment remplir les 2400 places plusieurs soirs par semaine ? Pourquoi l’addition finale avoisinera les 380 millions d’euros alors que le coût initial était estimé à 170 millions ? Enfin, cette somme délirante n’aurait-elle pas été un peu plus utile au budget de l’enseignement de la musique en France ?

Philharmonie de Paris en travaux, vue de la rampe - © Nicolas Borel

A 240 jours de son inauguration, le visiteur peu expert en BTP se demande évidemment si cette date du 14 janvier 2015 est franchement atteignable. Laurent Bayle, maître des lieux également à la tête de la Cité et de Pleyel, ne doute pas un instant que le défi sera relevé… Invité à ausculter de prêt l’impressionnant vaisseau, on entre sur un chantier à la structure certes bien avancée mais où règnent plâtre, béton, tuyauterie, câblage multiples, le tout sans la moindre vitre… A l’entrée certes, une superbe maquette de la salle principale au 1/10e impressionne, rappelant la beauté réelle du résultat final. Quelques escalades plus tard, les pieds positionnés à l’emplacement même de ceux de Järvi dans 240 jours, cette sensation de grandeur est décuplée. Le public, très proche des musiciens, enveloppe l’orchestre de manière atypique, sur le modèle de la Philharmonie de Berlin. Tout autour de cette salle principale de concerts dont on attend beaucoup acoustiquement parlant, de très nombreux espaces viennent là encore rendre un peu plus pharaonique cette Philharmonie. Parmi eux, seize lieux de répétitions : une très grande salle équipée de gradins affectés au chœur (et éventuellement au public pour lui permettre d’assister aux répétitions), une seconde salle quasi-identique mais non ouverte au public, quatre espaces réservés à des effectifs spécifiques (cordes, percussions, musique vocale, petite formation) et dix studios permettant aux artistes de travailler individuellement ou en formation de chambre. La Philharmonie possèdera également son propre studio d’enregistrement permettant de capter les projets de ces ateliers. Côté enseignement, la Philharmonie proposera un pôle éducatif sur plus de 1800m² situé en rez-de-jardin. Un autre espace d’environ 800m² sera lui destiné à accueillir de grandes expositions. C’est là notamment que s’installera, entre le 3 mars et le 31 mai 2015, celle consacrée à David Bowie et qui fut présentée à Londres l’an passé. Enfin, le lieu proposera également les habituels cafés, restaurants, terrasses et autres salles privatisables.

Grande salle - © Philharmonie de Paris – Didier Ghislain

La Cité de la Musiques est morte, vive la Philharmonie 2 ! Avec la naissance de l’édifice imaginé par l’architecte Jean Nouvel, cette Cité conçue en 1995 par son confrère Christian de Portzamparc perd son nom pour devenir la Philharmonie 2 (« Comme Roissy 1 et Roissy 2 », ricanent déjà certains…) et intégrer le projet Philharmonie de Paris dans sa globalité. On imagine en effet mal un jeune ensemble baroque remplir les 2400 fauteuils de la grande sœur… Les espaces de cette ex-Cité consacrés, jusqu’à présent, aux grandes expositions seront désormais dédiés aux seuls instruments de la collection permanente du Musée de la Musique dont certains trésors – faute de place – n’étaient pas tous présentés au public. Avant cette modification définitive, une exposition célébrant les 90 ans de Pierre Boulez se tiendra du 17 mars au 28 juin.

Côté emploi, si toute l’équipe de l’actuelle Cité de la Musique intègre le projet global de la Philharmonie, environ 40 postes supplémentaires devraient être créés. De son côté, l’Orchestre de Paris (personnel administratif compris) quittera l’immeuble de Pleyel pour s’installer à la Philharmonie. Enfin, un orgue sera installé dans la grande salle de concert mais, réglage oblige, ne sera intégré qu’au programme de la seconde saison.

Et la musique dans tout cela ? Ou plutôt les musiques. Pas moins de 270 concerts seront donnés de janvier à juin 2015 pour la première (demie) saison de la Philharmonie ! Une pantagruélique programmation, répartie entre la Philharmonie 1 et la Philharmonie 2, avec de prestigieuses phalanges (Berlin, Londres, New York, Amsterdam, Les Arts florissants, Ensemble intercontemporain…), de prestigieuses baguettes (Rattle, Barenboim, Gergiev, Dudamel, Järvi, Haitink, Savall, Salonen, Jansons, Gardiner, Christie, Maazel, Blomstedt, Jacobs, Niquet…) et de prestigieux solistes (Murray Perahia, Lang Lang, Hélène Grimaud, Isabelle Faust, Maria Joao Pires, Maurizio Pollini, Andreas Staier, Martha Argerich, Arcadi Volodos, Katia et Marielle Labèque, Vadim Repin, Renaud Capuçon…). Jazz, world, chanson, pop, electro, la Philharmonie s’ouvrira également aux musiques hors classiques avec notamment des concerts de Brad Mehldau, Moriarty, Jacques Higelin, Hariprasad Chaurasia, Anoushka Shankar et Toumani Diabaté, Ibrahim Maalouf et Oxmo Puccino, The Divine Comedy, Tindersticks ou bien encore Jeff Mills. Au final, un ton de programmation certes alléchant mais qui reste très similaire à celui auquel le tandem Pleyel/Cité nous a habitué ces dernières années…

Questions brulantes, chantier avancé, programmation dévoilée, il semble que tout puisse finalement (très) bien se dérouler comme être un naufrage (annoncé). Aucune réponse de normand ici, juste un état des lieux sur un fil du rasoir. Il est en tout cas sûr qu’au lendemain du 14 janvier 2015, et même si les délais de livraison sont scrupuleusement respectés, il faudra accorder à l’équipe de la Philharmonie un certain temps pour régler et huiler son moteur et faire de cet impressionnant paquebot le lieu ultime de la musique savante à Paris.

Le programme complet de la saison 2015 (janvier-juin) de la Philharmonie de Paris